Diffuser la condamnation d’un concurrent, en modifiant le fondement juridique, est un acte de concurrence déloyale.
Une décision de justice « altérée dans sa substance »
Diffuser la condamnation d’un concurrent en modifiant le fondement juridique, est un acte de concurrence déloyale. C’est ce qui ressort de la décision du 22 juin 2016 du Tribunal de commerce de Lyon.
En l’espèce, le 25 avril 2012, une cession de parts d’une société du secteur informatique est intervenue. Cette cession était encadrée par un protocole d’accord qui comportait une clause de non-concurrence.
Malgré celle-ci, le cessionnaire, Datafirst, a été informé en août 2014 que l’un des cédants, Bee2link, agissait en violation de ladite clause. Ce dernier démarchait ainsi les clients de Datafirst et s’apprêtait à lancer un produit concurrent. L’affaire a alors été portée devant le Tribunal de commerce de Lyon qui a considéré qu’il s’agissait effectivement d’une violation de la clause de non-concurrence.
Fort de cette décision en sa faveur, Datafirst a fait part de cette condamnation à l’un de leur prospect commun, mais en transformant le fondement juridique. Ainsi, la violation d’une clause de non-concurrence (fondée sur l’article 1134 du Code civil) s’est transformée en concurrence déloyale (fondée sur l’article 1382 du Code civil). Prenant connaissance de cette diffusion via l’un de ses prospects les plus importants, Bee2link a saisi le tribunal.
Le Tribunal de commerce de Lyon, par sa décision du 22 juin 2016, a condamné Datafirst. Les juges ont ainsi considéré que la diffusion d’une condamnation d’un concurrent sur un fondement juridique différent de celui réellement retenu par la juridiction s’apparentait à un dénigrement.
Cette erreur est au surplus difficilement pardonnable car, non seulement les juges ayant condamné Bee2link avaient rejeté la qualification de concurrence déloyale, mais de surcroît, l’obligation contractuelle de non-concurrence avait pris fin au moment de la diffusion litigieuse.
Un acte de concurrence déloyale par dénigrement de son concurrent
Outre l’altération du fondement de la condamnation, les juges ont porté leur attention sur le contexte particulier entourant cette diffusion.
En l’occurrence, le prospect, grand groupe industriel, s’apprêtait à déployer la solution de Bee2link sur son système d’information. L’enjeu était donc primordial pour Bee2link et la diffusion d’une fausse information lui a été d’autant plus préjudiciable.
Les juges ont, en effet, estimé que Datafirst n’a pas choisi le moment de la diffusion par hasard. Le but était que le prospect abandonne la solution de Bee2link et choisisse leur produit.
Rappelons que le dénigrement (une des fautes caractéristiques de la concurrence déloyale) est défini par la jurisprudence comme le fait de « porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise ou d’un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d’arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tout cas de manière à toucher les clients de l’entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l’auteur ». (1)
La diffusion de la condamnation de Bee2link étant susceptible de porter atteinte à son image de marque, la démarche de Datafirst a donc été qualifiée de « dénigrement » par le tribunal en ce qu’elle « constitue à l’évidence un trouble manifestement illicite ».
L’intérêt de cette décision repose sur le fait que la diffusion d’une décision de justice est en principe libre en raison de la publicité des débats et du prononcé (2).
Néanmoins, la jurisprudence pose des limites à ce principe. A cet égard, il a été jugé en 2013 que l’affichage par un médecin de la condamnation de son ex-associé pour abus de confiance, en tronquant certaines parties et en omettant de préciser que le jugement avait été frappé d’appel, est illicite. (3)
Ces faits ne sont pas éloignés des faits de l’espèce commentée.
Le Tribunal de commerce de Lyon a donc fait application de la jurisprudence de la Cour de cassation en considérant que les faits qui leur étaient soumis constituaient des faits de dénigrement et donc de concurrence déloyale au sens de l’article 1382 du Code civil (devenu depuis l’article 1240) (4).
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Thomas Noël
Lexing Contentieux informatique
(1) Versailles, 9-9-1999, D. 2000. Somm. 311, obs. Y. Serra.
(2) Convention européenne des droits de l’homme, art. 6-1.
(3) Cass. 1e civ., 10-4-2013, n°11-28.406.
(4) C. civ., art. 1382.