La notification préalable n’est pas exigée pour le retrait de propos constitutifs de trouble manifestement illicite.
Par arrêt du 18 novembre 2016 (1), la Cour d’appel de Paris a précisé la portée de l’exigence de notification préalable à l’hébergeur de contenus de tiers imposée par l’article 6 I 5° de la loi n°200-575 pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (ci-après « LCEN »).
Dans cette affaire, plusieurs articles concernant un ancien capitaine de l’armée marocaine avait été publiés sur un blog hébergé par le Nouvel Observateur et le qualifiaient notamment de « voyou ».
Ce dernier, estimant que ces publications, injurieuses, lui causaient un trouble manifestement excessif, avait saisi en référé le Président du Tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir, d’une part, le retrait des publications litigieuses et, d’autre part, la condamnation du directeur de la publication et la société civilement responsable à une certaine somme à titre de provision.
Par ordonnance du 15 janvier 2015, le Président du Tribunal de grande instance de Paris a débouté le demandeur de l’ensemble de ses demandes.
La Cour d’appel de Paris a partiellement infirmé l’ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Paris.
L’exigence d’une notification préalable pour engager la responsabilité de l’hébergeur
Retenant la qualification d’injure de l’emploi, répété, du terme « voyou » pour désigner l’appelant, la Cour d’appel de Paris a précisé le régime de la notification préalable exigée par l’article 6 I 5° de la LCEN.
L’article 6 I 5° de la LCEN dispose :
« La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 [hébergeurs] lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :
-la date de la notification ;
-si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
-les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
-la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
-les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
-la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».
En effet, les intimés soutenaient que l’assignation, à défaut d’avoir été précédée d’une notification préalable telle qu’imposée par l’article 6 I 5° de la LCEN, devait être déclarée irrecevable.
De manière classique, la cour a rappelé que « l’hébergeur, qui assure, à titre gratuit ou payant, le stockage de tout contenu, comme au cas d’espèce un blog, pour le mettre à disposition du public via internet, ne fait que fournir des moyens techniques et ne choisit pas de mettre en ligne le contenu. Aussi, sa responsabilité ne sera-t-elle encourue que s’il a délibérément mis en ligne ou laissé en ligne un contenu illicite ».
La cour a donc rejeté la demande de provision formulée par l’appelant, ce dernier n’ayant pas rapporté la preuve qu’il avait respecté l’obligation de notification préalable mise à sa charge par l’article 6 I 5° de la LCEN.
Le retrait de propos injurieux n’est pas soumis à l’obligation de notification préalable
En revanche, la cour a apporté une précision quant à l’inapplicabilité de l’article 6 I 5° de la LCEN à la demande de retrait de propos qui sont constitutifs d’un trouble manifestement illicite.
En effet, elle a jugé que la lecture combinée des articles 6 I 5° de la LCEN et de l’article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile, que le juge des référés « peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Elle en conclut qu’« il est certain que la désignation [de l’appelant], dans chacun des trois articles du blog, sous le terme de voyou revêt un caractère injurieux, ce qui occasionne un trouble manifestement illicite ».
La cour a en conséquence ordonné le retrait des articles litigieux.
Cette solution affine les contours de l’application de l’article 6 I 5° de la LCEN, qui a vocation à s’appliquer pour l’engagement de la responsabilité des hébergeurs, mais qui ne fait pas obstacle à l’application de l’article 809 du Code de procédure civile, dès lors qu’il est démontré que les publications litigieuses occasionnent un trouble manifestement illicite à celui qui est visé par ces écrits.
Virginie Bensoussan-Brulé
Chloé Legris
Lexing Contentieux numérique
(1) CA Paris, Pôle 1 Ch. 8, 18-11-2016, RG n°15/02499