Le portrait-robot génétique permet de prédire les caractéristiques physiques d’une personne à partir de traces d’ADN. L’examen et l’établissement de ce profil génétique constituent le portrait-robot génétique.
Elaboration de probabilités
Les techniques d’établissement d’un portrait-robot génétique permettent aujourd’hui d’émettre des probabilités sur les caractéristiques physiques des personnes. Le pertinence de ces probabilités peut être variable dans la mesure où l’ADN fait le portrait de l’état natif de la personne, or l’environnement façonne les individus (bronzage, couleur des cheveux, par exemple) et des lentilles de couleur, cicatrices, chirurgie esthétique ou une coloration des cheveux peuvent biaiser les prédictions émises. Cependant, le portrait-robot génétique pourrait à l’avenir être plus précis, donnant des informations comme la taille, la corpulence, les tâches de rousseur ou la propension à la calvitie (voir notamment les études des chercheurs de l’université Erasme de Rotterdam et de VisiGen).
L’examen des caractéristiques génétique strictement encadré
Le droit français autorise l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne uniquement à des fins médicales ou de recherche scientifique. La personne doit consentir audit examen et être dûment informée (art. 16-10 du Code civil). Le fait de procéder à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins autres que médicales ou de recherche scientifique est un délit pénal (art. 226-25 du Code pénal).
Le droit français autorise cependant l’identification d’une personne par ses empreintes génétique dans des cas précis, notamment « dans le cadre de mesures d’enquête et d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire » (art. 16-11 du Code civil). Un fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) a été créé par le législateur afin de faciliter, dans une optique de comparaison et de concordance, l’identification et la recherche d’auteurs de certaines infractions (art. 706-54 et 706-55 du Code pénal). Le Code de procédure pénal (art. A38) précise les segments d’ADN sur lesquels peuvent porter les analyses destinées à l’identification génétique. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le sujet des données génétiques en jugeant que pour prouver une filiation dans une procédure de regroupement familial, la loi n’autorisait pas l’examen des caractéristiques génétiques mais seulement son identification par ses seules empreintes génétiques (Cons. const., 15 nov. 2007, n° 2007-557). Aussi la Cour européenne des droits de l’Homme a précisé qu’elle « se doit de procéder à un examen rigoureux de toute mesure prise par un État pour autoriser leur conservation [des données ADN] et leur utilisation par les autorités sans le consentement de la personne concernée » (CEDH, 4 déc. 2008, n° 30562/04 et 30566/04).
Un risque d’atteinte aux droits fondamentaux
L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins autres que médicales ou de recherche scientifique est interdit en France dans la mesure où cette pratique peut porter atteinte à la vie privée de la personne, au principe de non-discrimination voire à la dignité des individus. En effet, l’établissement d’un portrait-robot génétique permet de prédire des éléments liés aux corps humain pouvant alors conduire à des différences de traitements. Il pourrait en être ainsi dans l’hypothèse où le portrait-robot génétique permet de déceler des anomalies génétiques entrainant des pathologies. La loi précise d’ailleurs que « nul ne peut faire l’objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques » (art. 16-13 du code pénal).
Autorisation du portrait-robot génétique par la Cour de cassation
S’affranchissant du cadre strictement posé par le Code pénal, la Cour de cassation (Cass. crim., 25-6-2014, n° 13-87493) a validé la réalisation d’un portrait-robot génétique à des fins autres que médicales ou de recherche scientifique. En l’espèce, ce portrait a été réalisé dans le cadre de la recherche d’une personne non dénommée contre laquelle une information a été ouverte par un juge d’instruction pour viols aggravés. Cette personne avait laissé des traces d’ADN sur ses victimes. Comme le mentionne la Cour de cassation « le juge d’instruction a ordonné une expertise tendant à l’analyse de ces traces afin que soient extraites les données essentielles à partir de l’ADN et fournis tous renseignements utiles relatifs au caractère morphologique apparent du suspect ». Pour sortir du cadre des articles 16-10 et 16-11 du Code civil et valider la réalisation du portrait-robot génétique, la Cour a jugé que le « matériel biologique » qui a permis à l’expert de déterminer les caractéristiques génétiques s’était « naturellement détachés du corps humain ». En conséquence, « les articles 16-10 et 16-11 du Code civil n’ont pas vocation à s’appliquer, dès lors qu’ils ont pour seul fondement le respect et la protection du corps humain ». De surcroît, la Cour de cassation conforte la décision du juge d’instruction qui a pris l’initiative de demander l’établissement du portrait-robot génétique dans la mesure où cette expertise a été ordonnée sur le fondement de l’article 81 du Code de procédure pénale qui dispose que « le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité ».
En souhaitant faire parler l’ADN, la Cour de cassation a rendu un jugement qui apparaît contestable sur le plan de la rigueur juridique. En effet, l’article 81 mentionné ci-avant précise clairement que les actes d’information du juge d’instruction doivent être réalisés « conformément à la loi ». Or la loi n’autorise l’établissement d’un portrait-robot génétique que pour des fins médicales ou de recherche scientifique, non pas dans le cadre d’une procédure pénale. L’article 427 du Code de procédure pénale précise par ailleurs que la preuve des infractions n’est libre qu’autant que la loi n’en dispose pas autrement. A ce titre il est intéressant de remarquer que dès 1992 le Conseil de l’Europe précisait que « les échantillons prélevés sur des personnes vivantes pour effectuer des analyses de l’ADN à des fins médicales, et les informations obtenues à partir de ces échantillons, ne peuvent être utilisés pour les besoins d’enquêtes et de poursuites pénales, si ce n’est dans des cas expressément prévus par le droit interne » (1).
De plus les traces d’ADN, bien que détachées du corps humain, pourraient rejoindre la catégorie d’éléments et de produits du corps humain faisant l’objet d’une protection juridique spécifique et sur lesquelles il ne peut être opéré tous types d’actes (art. L. 1211-2 du Code de la santé publique). Enfin, qu’en est-il de la responsabilité du laboratoire qui, bien que sur demande d’un juge d’instruction, se livre à l’élaboration du portrait-robot génétique en dehors de toutes considérations médicales et scientifiques ? Dans ses conclusions rendues au titre de l’arrêt du 25 juin 2014, l’Avocat général s’était opposé au portrait-robot génétique en estimant qu’il ne revient pas au juge « de se substituer au législateur pour apprécier où doit se situer le point d’équilibre entre l’intérêt de la répression et la protection des droits de la personne » (cité dans Poussée de fièvre scientiste à la chambre criminelle, le recours au « portrait-robot génétique » (mais approximatif) est validé, Jean Danet, RSC 2014. 595).
Nécessité d’un encadrement législatif
Les informations génétiques sont des données sensibles dont l’exploitation doit être encadrée par la loi. Les questions soulevées précédemment pointent la nécessité d’établir un cadre juridique applicable au portrait-robot génétique, sur lequel travaille actuellement le ministère de la Justice (2). Telle est la conclusion de l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme en date du 17 mars 2016 (3) qui précise que « le texte législatif devrait limiter cette faculté au seul juge d’instruction, préciser le type de caractéristiques génétiques susceptibles d’être déterminées par ce moyen – en les limitant aux seuls traits objectifs, extérieurs et pertinents pour l’identification d’une personne – et définir les garanties effectives que ces procédures devraient respecter ». L’Espagne, les Pays-Bas ou encore les Etats-Unis ont déjà légiféré et autorisé la réalisation du portrait-robot génétique.
Virginie Bensoussan-Brulé
François Gorriez
Lexing Contentieux numérique
(1) Recommandation n° R (92) 1 du Comité des ministres aux Etats membres, adoptée par le Comité des Ministres le 10-2-1992
(2) Assemblée nationale, Question écrite n°73053 de M. Philippe Goujon, 14e législature
(3) Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Avis du 17-3-2016