Un jugement du TGI de Montpellier de novembre 2016 permet de revenir sur la pénalisation du revenge porn.
La pénalisation du revenge porn par la Loi pour une République numérique
Après les Etats-Unis en 2004 où le New Jersey, la Californie et l’Utah ont promulgué des lois incriminant le revenge porn puis le Royaume Uni en 2015 (1), la France a introduit une réponse pénale adaptée au phénomène de revenge porn par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
Par l’insertion de l’article 226-2-1 dans le Code pénal (2), cette loi vient pénaliser les actes de revenge porn. Le revenge porn, également connu sous le nom de vengeance pornographique, peut être défini comme le phénomène par lequel un homme ou une femme diffuse sur internet, dans le but de se venger, des images à caractère sexuel de son ancien ou ancienne partenaire qui ont été prises, dans la plupart des cas, avec son consentement (selfies, photos, sextapes, etc.).
Augmentation des peines applicables au délit d’atteinte à la vie privée
Le premier alinéa de ce nouvel article 226-2-1 du Code pénal prévoit une augmentation des peines relatives au délit d’atteinte à la vie privée, lorsque ces infractions portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel.
Sont ici visés les délits réprimant le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, au moyen d’un procédé quelconque :
- en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
- ou en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
Les peines passent ainsi d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende à deux ans d’emprisonnement et 60 000 € d’amende.
Mais l’apport majeur de cet article est contenu dans son deuxième alinéa.
Le consentement à la captation des images ne sera plus un obstacle à la répression du revenge porn
Depuis l’entrée en vigueur de ce nouvel article, est puni de deux ans d’emprisonnement et 60 000 € d’amende, le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, par captation, fixation, enregistrement ou transmission.
Désormais, le fait qu’il y ait eu un consentement de la personne à l’origine de l’enregistrement ou du document à caractère sexuel ne s’opposera plus à la sanction pénale dès lors que la personne concernée n’aura pas donné son accord pour sa diffusion.
Le régime applicable aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la Loi pour une République numérique
Pour autant, l’un des principes contenus dans le Code pénal précise que sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.
Ainsi, en application de ce principe, la loi nouvelle qui crée une incrimination et qui, de fait, est plus sévère que le droit antérieur, ne saurait s’appliquer rétroactivement (3). Dès lors, tous les actes de revenge porn commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi pour une République numérique resteront difficilement répréhensibles car ils sont soumis à l’ancien arsenal législatif.
Certains juges du fond avaient pu rendre des décisions de condamnation de revenge porn sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal (4).
Mais dans un arrêt du 16 mars 2016 (5), la chambre criminelle de la Cour de cassation avait estimé que les délits d’atteinte à la vie privée ne pouvaient pas s’appliquer puisque « n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement ». Le fait que le consentement de la personne ait été constaté excluait l’application de l’article 226-1 du Code pénal.
Plus récemment dans un jugement du 15 novembre 2016, la chambre correctionnelle du TGI de Montpellier a prononcé une condamnation pour des faits de revenge porn commis en 2012 sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal.
Dans cette affaire, le prévenu se voyait reprocher d’avoir volontairement commis des violences sur son ancienne compagne et d’avoir volontairement enregistré et transmis, sans son consentement, l’image de son ancienne compagne se trouvant dans un lieu privé en diffusant sur des sites pornographiques une vidéo prise à son insu lors de leurs rapports sexuels.
Le tribunal a constaté que les faits étaient établis, a déclaré coupable le prévenu des faits qui lui étaient reprochés et a prononcé une condamnation de trois ans d’emprisonnement.
La condamnation pour les faits de revenge porn a été prononcée sur le fondement de l’article 226-1 2° du Code pénal qui réprime « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui […] en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ».
La condamnation sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal a été possible parce que la vidéo avait été enregistrée à l’insu de l’ancienne compagne du prévenu. Il en aurait été tout autrement si la vidéo en cause avait été une sextape tournée par les deux intéressés : l’incrimination aurait certainement été rejetée en application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.
En effet, en application du principe selon lequel la loi pénale est d’interprétation stricte, contenu à l’article 111-4 du Code pénal, les juges ne peuvent avoir d’interprétation extensive des infractions.
L’arsenal répressif français ne permettait donc pas d’encadrer suffisamment ce phénomène de revenge porn mais les victimes avaient d’autres palliatifs.
L’arsenal législatif antérieur à la Loi pour une République numérique
Les victimes avaient par exemple la possibilité d’exercer des actions devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 9 du Code civil qui dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
De même, les victimes pouvaient demander le déréférencement des contenus portant manifestement atteinte à leur vie privée aux moteurs de recherche (6).
Enfin le délit de cyberharcèlement pouvait aussi constituer une voie de droit pour les victimes de revenge porn. En effet, l’article 222-33-2-2 du Code pénal réprime le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail. Ces faits sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Les interrogations face à cette nouvelle incrimination
A l’heure actuelle, les actes de revenge porn seront réprimés par le nouvel article 226-2-1 du Code pénal qui permet de donner une réponse pénale adaptée. Reste à savoir ce qu’il faudra entendre par « paroles ou images à caractère sexuel ». Sera-t-il nécessaire de démontrer un caractère pornographique, érotique ou une simple nudité ?
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit Presse et pénal numérique
(1) Criminal Justice and Courts Act 2015 Chapter 2, 12-2-2015
(2) Loi 2016-1321 du 7-10-2016 pour une République numérique, art. 67 (insérant le nouvel article 226-2-1 dans le Code pénal)
(3) L’article 112-1 du Code pénal (alinéa 1 et 2) précise que : « Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.
Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. »
(4) Notamment T. corr. Metz, 3-4-2014, M. X.
(5) Cass. crim. 16-3-2016, n°15-82.676, M. X.
(6) A la suite de : CJUE, 13-5-2014, aff. C‑131/12, Google Spain SL, Google Inc. c./ Agencia Española de Protección de Datos (AEPD), Mario Costeja González.