En cas de rupture des pourparlers le juge des référés s’estime incompétent pour en apprécier le caractère abusif.
Par ordonnance de référé du 3 mars 2017 (1), le Président du Tribunal de commerce de Paris s’est estimé incompétent pour apprécier le caractère abusif de la rupture de pourparlers, dans une affaire s’articulant autour de la conclusion de contrats informatiques.
Rupture des pourparlers : les faits de l’espèce
La société demanderesse demandait au Président du Tribunal de commerce de Paris de juger en référé que le comportement de la société défenderesse, consistant à rompre subitement, à contretemps et abusivement les pourparlers engagés avec elle, engage sa responsabilité .
Elle justifiait le caractère abusif de la rupture par les éléments de contexte suivants :
- une négociation d’une durée de sept mois au cours de laquelle a été mise en place, entre les parties, l’ensemble de la solution technique objet des négociations, qui n’avait plus qu’à être activée (bascule en production) ;
- une négociation achevée concernant les clauses essentielles du contrat ;
- une rupture indûment justifiée par la défenderesse, qui arguait du caractère confus du business model et la situation financière prétendument insatisfaisante de la société demanderesse, pourtant connus et stables depuis des mois.
Elle justifiait d’autre part le bien-fondé de son action en référé sur l’existence, dans ce contexte, d’un trouble manifestement illicite, non sérieusement contestable et engendrant un dommage imminent pour la société demanderesse, résultant du caractère abusif de la rupture.
Elle demandait enfin l’exécution des contrats objet des pourparlers rompus, pendant un délai de huit mois.
Rupture des pourparlers et réforme du droit des contrats
Le nouvel article 1112 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats (Ord. 2016-131 du 10-2-2016) (2) dispose :
L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu.
Ainsi, si les pourparlers sont en principes libres, la faute consistant en leur rupture abusive par l’une des parties est susceptible d’engager sa responsabilité, sans pour autant que la réparation du préjudice de la partie lésée ne puisse consister en la compensation de la perte du contrat qui en était l’objet.
Rupture des pourparlers et pouvoirs du juge des référés
Comme rappelé au sein du dispositif de l’ordonnance, le Président du tribunal de commerce peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend (CPP art. 872) et dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (CPP art. 873).
La décision quant à la rupture des pourparlers
Par son ordonnance du 3 mars 2017, le Tribunal de commerce de Paris a jugé que pour apprécier l’existence d’un trouble manifestement illicite ou l’existence d’un dommage imminent, il doit nécessairement apprécier le caractère abusif de la rupture des pourparlers intervenue, ce qui excède ses pouvoirs, et a débouté en conséquence la demanderesse de l’ensemble de ses demandes.
En effet, par principe, le juge des référé est le juge de l’ « évidence », et ne peut se livrer à un examen au fond de l’affaire au regard des demandes qui lui sont présentées sans outrepasser ses pouvoirs.
Les demandes relatives à la rupture abusive des pourparlers ne peuvent donc être présentées devant le juge des référés dans la mesure où elles nécessitent un examen au fond du comportement des parties, du caractère abusif de la rupture et de la faute de la défenderesse.
En cas de rupture abusive des pourparlers, l’approche de la partie lésée doit donc être différente, selon le cas d’espèce.
Rupture des pourparlers : les différentes approches
D’abord la partie lésée peut introduire directement une action au fond pour engager la responsabilité de la partie à l’origine de la rupture abusive sur le fondement de l’article 1112 du Code civil, en réparation de son préjudice.
Elle pourrait d’autre part, et autant que le cas d’espèce semblerait s’y prêter (le déploiement technique avait été quasi-intégralement réalisé), soutenir au fond que les contrats en question ont été, au moins en partie conclus, notamment si les parties ont commencé à en exécuter leurs obligations respectives et réciproques.
Enfin, cette décision permet de rappeler que quand bien même une rupture abusive engagerait la responsabilité de son cocontractant, le juge ne peut compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu (C. civ. art. 1112) (ce qui reviendrait au même que de considérer que les contrats ont été conclus) et donc, ne devrait pas pouvoir ordonner l’exécution, même provisoire, des contrats en cause, contrairement à ce qui lui était demandé en l’espèce.
En pratique, l’encadrement contractuel des phases de négociation permettra d’éviter une telle situation, en prévoyant par avance les éléments de leur déroulement, qu’il s’agisse notamment des référentiels contractuels, du calendrier ou du partage des frais dédiés, ainsi que les garanties du respect de la confidentialité qui s’y attachent.
Jean-François Forgeron
Benjamin-Victor Labyod
Lexing Droit de l’informatique
(1) T. Com. Paris, Ord. réf. du 3-3-2017
(2) Ordonnance 2016-131 du 10-2-2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (JO du 11-2-2016)