Le phénomène du crowdsourcing, stimulant l’innovation de la foule, peut générer de la propriété intellectuelle.
Déjà en 2012, le cabinet Alain Bensoussan discutait le lien entre open innovation, mouvement auquel il se rattache, et propriété intellectuelle (1 et 2). L’essor actuel de ce mode de production participatif impose d’y revenir (3).
Au premier abord, le crowdsourcing peut paraitre indifférent au droit de la propriété intellectuelle, qui confère à son titulaire un droit exclusif sur l’utilisation de sa création pendant une certaine durée. Or, ce mode de production ne résume pas à un simple appel à idées ou avis. Ainsi, la pérennité de ce mode de production nécessite que ses enjeux soient connus, maitrisés et valorisés par chacun de ses acteurs.
L’exclusion des idées et concepts de la protection par le droit de la propriété intellectuelle.
Selon un adage célèbre, l’idée est « par essence et par destination libre de parcours » (4). En effet, les idées tout comme les concepts ne sont pas protégeables par le droit de la propriété intellectuelle, notamment par le droit de la propriété littéraire et artistique qui ne protège que la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (5).
Bien que non appropriables, les idées et les concepts, peuvent avoir une valeur économique certaine, surtout lorsqu’ils sont enrichis collectivement. C’est précisément cette brèche juridique que les acteurs du crowdsourcing cherchent à valoriser, afin d’économiser des coûts et du temps de recherches et de développement, et ainsi trouver ou développer leur « océan bleu » (6).
Cette situation juridique pourrait laisser penser que le crowdsourcing est une opération libre de droits de propriété intellectuelle qui se résume à une organisation efficace des échanges de la communauté des contributeurs. Pourtant, tel n’est pas le cas.
La revendication possible de droits de propriété intellectuelle sur les créations au cœur du processus de crowdsourcing.
En raison de sa nature protéiforme, le crowdsourcing peut porter sur des créations protégeables par le Code de la propriété intellectuelle, comme des vidéos ou des logos par exemple. En outre, ce mode de production est souvent une étape clé permettant l’émergence d’œuvres originales ou encore d’innovations techniques ou esthétiques protégeables, et ce dans des secteurs très variés.
Le droit d’auteur.
Aux termes de l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle, « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif opposable à tous ». Les droits d’auteur s’appliquent à toutes œuvres de l’esprit quels qu’en soient le genre, le mérite ou la destination, à la seule condition que ces œuvres présentent un caractère original, qui s’apprécie au regard de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, indépendamment de la notion d’antériorité inopérante dans le cadre de l’application du droit de la propriété littéraire et artistique (7).
Dès lors, en pratique la contribution d’un internaute pourrait très bien constituer une œuvre originale protégeable par le droit d’auteur. Ainsi, du côté des contributeurs, porteurs de bonnes idées et concept en germe, il pourrait être stratégique d’octroyer à ses œuvres une date certaine, par le recours à des dépôts probatoires comme l’enveloppe Soleau. En effet, la mise en ligne des contributions renforce le risque de contrefaçon, en France mais aussi à l’étranger. Du côté de l’initiateur d’un projet, il convient d’obtenir les droits d’exploitation nécessaires et de rester vigilant à ce que les contributions, utilisées par la suite, ne soient pas effectuées en violation de droits des tiers. Lorsque les projets d’appel à la foule sont de grande envergure, il peut être difficile d’opérer ces contrôles. C’est pourquoi, il convient d’envisager dans la documentation contractuelle établie les clauses de garantie suffisantes.
En outre, l’œuvre créée consécutivement à l’appel à la foule peut également relever de ce régime, interrogeant dès lors sur la titularité des droits sur l’œuvre issue de ce processus.
L’article L.113-1 du Code de propriété intellectuelle institue une présomption de titularité des droits d’auteur au profit de l’auteur sous le nom duquel l’œuvre est divulguée. Il s’agit néanmoins d’une présomption simple, qui suppose que la preuve contraire puisse être apportée.
Néanmoins, en raison de la pluralité des contributions d’autres régimes sont susceptibles de trouver application, notamment celui de l’œuvre de collaboration ou de l’œuvre collective.
L’œuvre de collaboration est celle à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. Dans cette hypothèse, les coauteurs sont copropriétaires et doivent de ce fait exercer leurs droits d’un commun accord (CPI art. L.113-2 et L.113-3).
En droit français, est dite collective, l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.
Dans cette hypothèse, la titularité des droits d’auteur sur l’œuvre ainsi créée revient, sauf preuve du contraire, à la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. C’est par ce mécanisme, que les sociétés ou organismes, ayant recours au crowdsourcing peuvent se voir attribuer la titularité de certains résultats (CPI art. L.113-2 et L.113-5).
En conséquence, la mise en œuvre d’une opération de crowdsourcing impose un examen juridique afin de prévoir les éventuelles cessions de droits adéquates sur les droits patrimoniaux et organiser le respecter du droit moral de chaque coauteur, lequel est selon l’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle, perpétuel, imprescriptible et inaliénable.
Le droit de la propriété industrielle.
La protection par le droit de la propriété industrielle, que ce soit en matière de brevet, de marque ou de dessin et modèle, résulte de l’obtention d’un titre délivré par un office après une procédure d’examen, en France l’Institut national de la propriété industrielle.
Au stade de l’appel à contribution, dans la logique de l’open innovation, il n’est pas impossible de considérer que la foule participe par la mise à disposition d’inventions ou de créations protégées par un titre de propriété industrielle. Dans une telle hypothèse, des licences d’utilisation devront donc être préalablement organisées. Par la suite des cessions pourraient même être envisagées.
Par ailleurs, le droit de la propriété industrielle trouve également à s’appliquer au stade de la protection des résultats. A ce niveau plusieurs difficultés peuvent se poser.
Tout d’abord, bien que la modalité de protection diffère du droit d’auteur, on retrouve ici une problématique commune ; celle d’identifier les cotitularités éventuelles tout en se prémunissant des atteintes aux droits des tiers. Ceci effectué, il convient ensuite de reconnaitre juridiquement les droits des divers acteurs par l’organisation d’une indivision tenant compte des contributions et/ou par l’organisation des concessions ou cessions de droits utiles.
Ensuite, et peut être d’ailleurs avant tout, la protection d’un résultat généré par le biais du crowdsourcing impose de considérer et d’encadrer rigoureusement le secret. En effet, brevets et dessins et modèles comptent parmi leurs critères de protection celui de la nouveauté (CPI art. L.611-11 et L.511-2). Dès lors, une divulgation incontrôlée pourrait empêcher une protection ultérieure.
A ce titre, le contrat apparait comme l’outil indispensable à la protection efficace des droits de propriété intellectuelle mis en œuvre ou générés au cours d’une opération de crowdsourcing.
La protection des droits de propriété intellectuelle par le contrat
Il résulte des éléments précédents que le contrat reste l’élément clé de protection et de valorisation des droits de propriété intellectuelle, lors d’une opération de crowdsourcing, afin d’éviter toute problématique relative à la titularité des droits ou à l’exploitation et valorisation des résultats.
Dès lors, quel que soit le moyen par lequel l’opération de crowdsourcing est réalisée, les acteurs doivent organiser en amont une architecture contractuelle appropriée, notamment en considérant :
- la titularité des droits sur les contributions ;
- le sort des résultats :
- les garanties adéquates ;
- la confidentialité nécessaire ;
- une contribution équitable pour les contributeurs.
Le contrat permettra également d’encadrer les problématiques internationales aujourd’hui inhérentes à internet, en prévoyant la loi applicable et la juridiction compétente en cas de litige.
Bien qu’il soit toujours préférable de conclure des contrats spécifiques, ces clauses pourront être, a minima, intégrées dans les règlements des concours organisant le crowdsourcing ou les conditions générales ou spécifiques des plateformes en ligne ou sites internet, par le biais desquels ces opérations tendent à être organisées.
Marie Soulez
Lylia Lanasri
Lexing Contentieux Propriété intellectuelle
(1) Laurence Tellier-Loniewki, Open innovation et propriété intellectuelle, Alain-Bensoussan.com 2012.
(2) Laurence Tellier-Loniewski et Claudine Salomon, Open innovation et Propriété intellectuelle : enjeux et risques, Petit déjeuner du 16-1-2013 Alain-Bensoussan.com.
(3) Marie Soulez et Lylia Lanasri, Crowdsourcing : la production participative en plein essor, Alain-Bensoussan.com 8-3-2017.
(4) H. Desbois, Le droit d’auteur en France : Dalloz 1978, 3e éd., p. 22.
(5) Cass. 1e civ. 16-1-2013, n° 12-13027.
(6) L’océan bleu est une approche stratégique et marketing défendue par W. Chan Kim et Renée Mauborgne, par laquelle l’entreprise réfléchit au déploiement de nouveaux espaces inexplorés, et donc innovants pour son offre.
(7) Cass. 1e civ. 11-2-1997, n° 95-11605.