Economie juridique
Une perte de chance de gain peut être réparée
Un changement d’actionnariat aux lourdes conséquences
La société Atos Euronext SBF (ci-après Atos), qui détient 50% du capital de la société Astria, fournisseur de systèmes et projets monétiques clés en main pour les secteurs bancaire et informatique, envisage en 1998 d’acquérir la totalité des actions de la société. Ce projet se heurte à l’opposition de plusieurs cadres dirigeants d’Astria, menée par son Directeur général, qui est finalement licencié. Celui-ci s’engage, aux termes de la transaction conclue avec Astria, à ne pas la concurrencer pendant une année. Deux mois après son départ, début 1999, il crée une nouvelle société qui recrute dix-sept cadres et ingénieurs démissionnaires de la société Astria (qui comptait 67 salariés) et s’approprie au moins trois de ses clients.
L’enjeu
Le préjudice qui consiste a avoir obtenu des résultats inférieurs aux prévisions, qualifié de perte de chance de gain, peut être réparé lorsqu’il est correctement justifié.
Les faits de concurrence déloyale et parasitaire sont établis
En novembre 2001, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’action en concurrence déloyale d’Atos, pour défaut de preuve, et l’a condamnée à verser 7 622,45 € à chacun des défendeurs, pour procédure abusive. Au contraire, la Cour d’appel de Paris retient le débauchage massif de salariés et l’appropriation de la clientèle et du savoir faire de la société Astria par ses anciens cadres et par la nouvelle société. Elle considère que ces faits commis dans le cadre d’une action concertée sont constitutifs d’une concurrence déloyale et parasitaire. La cour évalue son préjudice au regard de la désorganisation subie.
Les conseils
Il doit être évalué au montant de la perte de marge subie en déduisant du chiffre d’affaires perdu les coûts variables qui auraient été supportés pour réaliser ce chiffre d’affaires. Le choix de la marge à prendre en compte (marge brute, EBE, marge d’exploitation ou résultat net) est discutable. En l’espèce, le demandeur a retenu la marge la plus faible (résultat net), donc la moins contestable.
Une perte de chance de gain évaluée de façon pertinente
La société Astria demandait 6 059 098 € au titre de la baisse de son CA et de ses résultats et 150 000 € en réparation de l’atteinte à son image de marque. La Cour constate une réduction importante du chiffre d’affaires sur les deux exercices suivants les faits, par rapport au précédent et une chute de 93% du résultat net entre 1998 et 1999 (de 2 millions € à 140 000 € environ). Examinant les prévisions de résultats établies par Astria pour 1999 et 2000, qui font apparaître, par rapport à ses résultats réels, un résultat net inférieur de 6 millions € sur les deux exercices, la cour évalue son manque à gagner à 2 millions €. Atos obtient donc plus de 30% du montant de sa demande, ce qui est un bon résultat pour la réparation d’une perte de chance de gain. L’arrêt lui accorde également 100 000 € pour l’atteinte à son image et ordonne la publication de la décision aux frais des défendeurs.
CA Paris, 04/02/2004, 5e ch.
Bertrand Thoré
Directeur du Département Economie juridique
bertrand-thore@lexing.law
Paru dans la JTIT n°35/2004 p.7