La CEDH vient de rendre un arrêt très attendu relatif à la surveillance des communications électroniques des salariés.
Un employé peut-il être licencié pour avoir utilisé des outils de communication électronique à des fins personnelles sur son lieu de travail ?
C’était en l’espèce la question soumise à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), le 5 septembre 2017.
Une chose est certaine : l’arrêt rendu le 5 septembre 2017 par la Cour de Strasbourg (aff. Barbulescu c. Roumanie, requête n°61496/08), qui tranche l’épineuse question de la possibilité ou non pour un employeur d’interdire l’usage des outils numériques à des fins personnelles et/ou à la capacité d’un employeur à contrôler cet usage, fera date.
Elle constitue l’épilogue, ou presque, d’une véritable saga judiciaire ayant débuté en décembre 2007 par le jugement d’un tribunal départemental roumain.
La question posée était assez simple : un employeur peut-il, après avoir interdit l’usage des outils de communication électronique (en l’espèce Yahoo Messenger), en contrôler l’usage qui en est, néanmoins, fait par ses collaborateurs ?
L’affaire, en elle-même, a fait l’objet de plusieurs décisions tant au plan national (Roumanie) qu’européen et les réponses avaient été jusqu’à présent globalement défavorables au salarié.
Saisie à nouveau de cette affaire dans une configuration particulière – sa Grande Chambre, l’équivalent, si l’on peut dire, de la configuration d’assemblée plénière de la Cour de cassation en France – la cour a pris une position tout à fait pragmatique mais qui ouvre la porte à de nombreux débats.
Dans les paragraphes 121 et 122 de sa décision qu’elle reconnaît elle-même comme essentiels, la CEDH précise que les autorités judiciaires doivent veiller, dans le cadre des affaires qui leurs sont soumises dans ce domaine, à :
- vérifier si l’employé a été informé de la possibilité pour l’employeur de prendre des mesures de surveillance de ses correspondances et de ses autres communications ainsi que de la mise en place de telles mesures ;
- contrôler l’étendu de ladite surveillance, à savoir si l’entreprise contrôle les flux au plan technique (filtrage protocolaire par exemple) ou les contenus eux-mêmes ;
- vérifier si l’employeur justifie de motifs légitimes justifiant la surveillance de ces communications et l’accès aux contenus eux-mêmes ;
- contrôler si l’employeur pouvait avoir recours à des moyens « moins intrusifs » que l’accès direct aux contenus des messages ;
- vérifier les conditions dans lesquelles les informations recueillies dans le cadre du contrôle ont été utilisées ; en d’autres termes, s’assurer que cet usage est conforme aux objectifs déclarés ;
- vérifier si l’employé s’est vu offrir des garanties adéquates, en particulier lorsque l’employeur utilise des moyens « intrusifs ».
A l’arrivée, la CEDH a estimé que « les autorités internes n’ont pas protégé de manière adéquate le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance, et que, dès lors, elles n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu », violant ainsi l’article 8 de la Convention.
Cette décision, bien que parfaitement fondée et basée sur des principes généraux du droit et notamment les obligations de transparence, de loyauté ou encore de proportionnalité, va contraindre les employeurs (publics ou privés), mais aussi les tribunaux, à revoir leur copie.
Les employeurs ne pourront sans doute plus se contenter d’adopter une charte des systèmes d’information définissant les conditions d’usage des outils informatiques et numériques mis à disposition des employés ou agents, mais devront se livrer à un travail plus approfondi sur la mise en œuvre des outils de contrôle et l’information portée à l’attention des salariés : on peut donc penser qu’il faudra, après la charte informatique et plus récemment la charte de la déconnexion (Loi El Khomri), adopter une charte des opérations de contrôle.
S’agissant des tribunaux, la décision est évidemment très impactante dans la mesure où les juges de la Cour européenne fixent, par leur décision, une grille d’analyse à destination des juridictions nationales qui devront, pour chaque cas qui leur est soumis, passer le tamis des 6 questions posées par le paragraphe 121 de sa décision.