Economie juridique
Exploitation sans droit d’une base de données
Une base de données exploitée à peu de frais
Une société qui édite et commercialise un annuaire des communes de France, achète à la société Jataka, pour 129 €, des fichiers comportant les coordonnées mises à jour de toutes les communes de France. Elle n’a pas l’autorisation de diffuser ni d’exploiter les données acquises, seul un droit d’usage final de celles-ci lui ayant été concédé. Malgré cela, elle les diffuse gratuitement puis les commercialise sur son site et dans un annuaire papier. 4Le créateur de la base de données et la société Jataka, qui dispose d’une licence d’exploitation, demandent au tribunal d’interdire à la société de diffuser les données et de la condamner à les indemniser du montant de l’investissement engagé pour la création de la base (68 602 €), des redevances qui auraient dues être versées pour exploiter la base (80 565 €) et des gains manqués résultant de la perte de clientèle (76 225 €).
Les principes
La réparation accordée doit réparer l’intégralité du préjudice subi , sans qu’il en résulte ni perte ni profit, c’est-à-dire sans tenir compte de l’importance de la faute commise.Les demandeurs doivent rapporter la preuve de leur préjudice personnel.
L’exploitation sans droit du contenu de la base est condamnée
Le tribunal (1) refuse à l’auteur de la base la protection de l’article L 112-3 du Code de la propriété intellectuelle (originalité de la création non démontrée), mais lui accorde la qualité de producteur et le bénéfice des dispositions de son article L 341-1. Il considère que la société EIP a engagé sa responsabilité à l’égard du producteur, en mettant à la disposition du public, sans autorisation, une partie substantielle du contenu de la base et constate que l’exploitation des fichiers sans droit constitue un acte de concurrence déloyale.
Les enjeux
Le manque à gagner de Jataka semble doublement indemnisé (redevances d’exploitation + perte de clientèle). L’évaluation de sa perte de clientèle est peu motivée, alors qu’elle représente près du double du montant total des investissements invoqués pour la création de la base. Le créateur de la base bénéficie de la réparation, sans prouver son préjudice personnel, qui dépend des dispositions du contrat de licence conclu avec Jataka, qui ne sont pas discutées.
Une réparation aussi élevée que peu motivée
Le tribunal considère que les demandeurs ne peuvent être indemnisés à la fois des investissements engagés pour créer la base et des redevances qu’aurait dû verser EIP pour l’exploiter. En effet, l’investissement réalisé n’est pas anéanti et les demandeurs n’ont perdu que les redevances qu’ils auraient dû normalement percevoir d’EIP, que le Tribunal évalue à 44 908 € TTC sur la base des justificatifs produits. Le Tribunal relève ensuite que la société EIP a réalisé des gains (non chiffrés) en exploitant les données sur son site web et dans son annuaire, et que les demandeurs ont subi une perte de clientèle (non chiffrée). Il retient les 76 225 € demandés à ce titre, « nullement exagérés ». Il accorde même aux demandeurs une réparation totale de 156 789 €, ajoutant une somme de 35 657 € (sans expliquer son calcul), au titre de trois autres sites web qui pointaient vers le site exploitant les données. Ces gains et ces « pertes » auraient pourtant été réalisés de la même manière si EIP avait versé le montant des redevances d’exploitation, dont la réparation est accordée. Cette demande aurait donc dû être écartée au même titre que celle relative aux investissements. En outre la réparation est accordée globalement aux deux demandeurs, à charge qu’ils se répartissent l’indemnisation, sans distinguer leurs préjudices personnels.
TGI Strasbourg, 22 juillet 2003 (2ème ch. com.), Jataka, P.M. / EIP, P.G.
Bertrand Thoré
Directeur du Département Economie juridique
bertrand-thore@lexing.law
Paru dans la JTIT n°29/2004 p.7