Les droits de l’usufruitier de droits sociaux ont été précisés par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 15 septembre 2016 par la 3ème chambre civile (1).
Non prévu à l’origine par le Code civil mais de plus en plus fréquent, le statut de l’usufruitier de droits sociaux suscite de nombreuses questions de par la nature particulière du bien sur lequel il porte.
Le droit de propriété concentre le pouvoir d’user de la chose (« usus »), de l’aliéner (« abusus ») et d’en percevoir les fruits (« fructus »).
Toutefois, le droit de propriété peut faire l’objet d’un démembrement.
A cet égard, le Code civil prévoit l’usufruit qui est l’association de l’usus et du fructus, et la nue-propriété, qui se caractérise par le seul abusus.
Les parts sociales confèrent à leur détenteur la propriété d’une partie du capital social, avec les droits politiques et financiers qui y sont associés : intervenir dans la gestion de l’entreprise et en retirer un revenu appelé dividende.
L’usufruitier de droits sociaux dans le cas d’espèce
L’arrêt commenté portait sur le droit de participer d’un usufruitier à une assemblée générale des associés.
En l’espèce, la propriété des parts sociales d’une société civile immobilière avaient été démembrée. L’usufruitier n’avait pas été convoqué à l’assemblée générale des associés. L’un des nu-propriétaire a, alors, sollicité l’annulation judiciaire de la décision collective au motif que l’usufruitier de ses parts n’avait pas fait l’objet d’une convocation et, dès lors, n’avait pas pu exercer son droit de participer à l’assemblée.
Les premiers juges, ainsi que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, n’avaient pas fait droit à la demande d’annulation de l’assemblée générale et avaient validé l’opération nonobstant l’absence de convocation de l’usufruitier.
Le pourvoi formé par le nu-propriétaire n’a pas davantage prospéré devant la troisième Chambre civile de la Cour de cassation qui, par un arrêt en date du 15 septembre 2016, a confirmé la décision d’appel en estimant qu’une assemblée générale ayant pour objet des décisions collectives autres que celles relatives à l’affectation des bénéfices, ne saurait être annulée au motif que l’usufruitier de parts sociales n’ait pas été convoqué pour y participer.
Cet arrêt vient préciser la nature controversée du statut juridique de l’usufruitier de droits sociaux.
Par cette décision, publiée au Bulletin de la Cour de cassation, les hauts magistrats font une application stricte de l’article 1844 du Code civil.
Ce texte dispose que :
« Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives.
Les copropriétaires d’une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent.
Si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier.
Les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux alinéas qui précèdent ».
En refusant de prononcer l’annulation d’une décision collective, n’ayant pas trait à l’affectation des bénéfices de la société, au motif que l’usufruitier n’aurait pas participé à l’assemblée générale litigieuse, droit irréductible à tout associé selon le premier alinéa 1 de l’article 1844 du Code civil qui est d’ordre public, la Cour de cassation reconnait donc, implicitement, que l’usufruitier n’est pas un associé de la société.
Cette décision, pleinement justifiée au regard de la nature du droit de l’usufruitier, vient donc ajouter sa pierre à l’édifice jurisprudentiel en venant préciser la répartition des pouvoirs entre usufruitier et nu-propriétaire de droits sociaux.
Une jurisprudence de référence
L’usufruitier de droits sociaux n’est pas un associé en ce qu’il n’est pas propriétaire des titres sociaux. Il ne dispose que d’un droit de jouissance sur la chose d’autrui, à savoir les parts sociales du nu-propriétaire.
Si l’usufruitier bénéficie d’un droit irréductible de participer et de voter aux assemblées générales des associés ou actionnaires, dont il ne saurait être privé statutairement, ce droit n’est irréductible que pour les assemblées statuant sur l’affectation des bénéfices de la société.
Le nu-propriétaire, quant à lui, peut être privé du droit de vote mais ne peut jamais être privé de son droit de participer aux assemblées générales. Il dispose ainsi, selon une jurisprudence constante, d’un droit général de participer à toutes les assemblées.
En définitive, si l’usufruitier de droits sociaux exerce certaines prérogatives attachées normalement à la qualité d’associé, notamment le droit de vote et le droit aux dividendes, cela ne lui confère pas pour autant le statut d’associé, lequel doit obligatoirement être convoqué à toutes les assemblées générales et dispose de la faculté d’y participer sans qu’il soit possible de le priver de ce droit.
Pierre Yves Fagot
Maxime Guinot
Lexing Droit de l’entreprise
(1) Cass. 3e civ., 15-9-2016, n° 15-15172, publié au bulletin.