Constitue une atteinte à la vie privée, la publication d’une page internet dédiée aux condamnations judiciaires d’une personne.
Le dirigeant d’une société spécialisée dans la supplémentation nutritionnelle avait constaté qu’une simple recherche de ses nom et prénom sur internet renvoyait en premier résultat à une page d’un site internet présenté comme destiné à lutter contre les « charlatans ».
Cette page citait ses nom et prénom, contenait une description détaillée de deux affaires pénales dans lesquelles il avait été personnellement impliqué et condamné, et reproduisait l’avis nécrologique de son père.
Après avoir réussi à identifier l’auteure du contenu litigieux, il lui a fait délivrer par huissier une sommation interpellative lui demandant de retirer la page, ce qui n’a pas été fait.
Chacun a droit au respect de sa vie privée
Il l’a donc fait citer devant la 17e chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris considérant avoir subi une atteinte à la vie privée, invoquant les dispositions de l’article 9 du code civil, qui prévoit :
Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
Il faisait en outre état de la délibération de la Cnil relative à l’anonymisation des décisions de justice par les banques de données et de jurisprudence, au sein de laquelle la Cnil avait formulé le souhait « que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites internet s’abstiennent, dans le souci du respect de la vie privée des personnes physiques concernées et de l’indispensable « droit à l’oubli », d’y faire figurer le nom et l’adresse des parties au procès ou des témoins » (1).
Il appuyait son argumentaire sur l’arrêté du 9 octobre 2002 qui a imposé l’anonymisation des décisions de justice.
Liberté d’expression et devoir d’information…
L’auteur des contenus a tenté de faire valoir sa bonne foi, arguant de sa liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général, et mettant en avant sa qualité de scientifique, tout en faisant valoir que c’est en recoupant diverses sources d’informations, et notamment des articles de presse, qu’elle avait pu déterminer que les condamnations avaient été prononcées à l’encontre de la partie poursuivante.
Elle précisait ainsi qu’il lui avait paru impératif d’informer le public et les consommateurs et que l’ atteinte à la vie privée n’était par conséquent pas caractérisée.
Le tribunal n’a pas suivi cet argumentaire et a constaté être en présence d’une atteinte à la vie privée (2).
… contre atteinte à la vie privée
Les juges ont considéré que cette publication avait été effectuée avec malveillance et dans des circonstances ne répondant pas aux nécessités de la liberté d’expression dans la mesure où elle :
- n’alimentait le débat sur la santé et les compléments nutritionnels d’aucun élément nouveau ;
- faisait ressurgir au premier plan les condamnations judiciaires dont la partie poursuivante avait été l’objet ;
- comprenait une publication de l’avis nécrologique du père de la partie poursuivante, caractérisant de ce fait « une intrusion dans ce qui relève de l’intimité de M. X., auquel elle impose la résurgence brutale car incongrue et décalée, d’un instant que l’on peut supposer douloureux de sa vie familiale ».
De l’anonymisation des décisions de justice
Le tribunal a par ailleurs rappelé que l’obligation d’anonymiser les décisions de justice ne s’impose qu’aux bases de données de décisions de justice et ne pouvait ainsi en tant que telle être opposée à la défenderesse.
L’auteur des contenus a ainsi été condamné à verser à la partie poursuivante une somme de 2000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de l’ atteinte à la vie privée. Le tribunal a en outre ordonné la suppression de la page litigieuse sous astreinte de 200 euros par jour dans la limite de 30 jours.
Chloé Legris
Raphaël Liotier
Lexing E-réputation et Droit pénal numérique
(1) Cnil, délibération n° 01-6057 du 29-11-2001 portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données et jurisprudence.
(2) TGI Paris, 17e Ch. civile, 14-02-2018.