Fin mars on pouvait lire ou entendre dans les médias que la station spatiale chinoise allait s’écraser sur la Terre (1).
En effet, les autorités chinoises avaient déclaré à l’ONU avoir perdu le contrôle de la station spatiale Tiangong-1 dès 2016, et que celle-ci, sans force motrice, devait probablement s’écraser sur Terre d’ici le mois d’avril 2018.
Tiangong-1 : un objet spatial conséquent
La station spatiale lancée le 29 septembre 2011 représentait une véritable démonstration de force pour les autorités chinoises, adressée à l’ensemble de la communauté internationale. Mais ce palais stellaire (2) de plus de 8 tonnes et de plus de 10 mètres d’envergure se classe parmi les objets spatiaux non négligeables, bien qu’il soit de petite taille comparé aux stations précédemment lancées dans l’histoire de la conquête spatiale.
Pourtant, ce symbole de superpuissance n’a été que peu habité, contrairement à sa voisine, la station spatiale internationale. Seuls six taikonautes (3), deux équipages de trois personnes, avaient occupé la station spatiale chinoise afin de tester ses capacités d’amarrage en juin 2012 et de réaliser différentes opérations à bord en juin 2013. Néanmoins, Tiangon-1 a également été utilisée dans le cadre de plusieurs missions non habitées.
Cette station ne représente pour la République populaire de Chine qu’un prototype de la version finalement espérée, devant peser plus de 20 tonnes et devant être lancée aux alentours de 2020. C’est pour cette raison que sa sœur est déjà en orbite depuis septembre 2016, baptisée Tiangong-2.
Tiangong-1 avait été conçue avec une durée de vie initialement limitée à 2 ans, mais les autorités chinoises avaient finalement prolongé la durée de ses missions. Toutefois, la perte de contrôle de l’engin le 21 mars 2016, a fait craindre une retombée sur Terre à l’issue de quelques mois.
Les dangers de la chute de la Station spatiale chinoise
La plupart des objets spatiaux en fin de vie sont généralement placés dans des cimetières. Ils sont, ainsi, soit remontés suffisamment haut afin de ne pas subir les forces des trainées atmosphériques, soit ils ont vocation à finir leur vie dans le « spacecraft cemetery » (4), au fond de l’Océan Pacifique. Or, ces deux manœuvres ne sont possibles qu’à condition de conserver un minimum de contrôle sur l’objet spatial concerné.
Dans le cas de Tiangong-1, tout contrôle a été perdu le 21 mars 2016. Placée en orbite aux alentours de 300 km d’altitude, la station spatiale chinoise devait donc subir une retombée sur Terre non contrôlée en quelques mois. Mais quels en étaient les risques initialement évalués ?
Finalement, d’un point de vue technique, les probabilités que Tiangong-1 s’écrase à la surface de la Terre restaient faibles, plusieurs arguments jouant en la faveur d’une telle position. D’abord, les frottements de l’air lors de l’entrée dans l’atmosphère, couplés à la pression, désintègrent les objets spatiaux qui fondent littéralement lors de leur retombée sur Terre. Ce ne sont finalement que quelques fragments qui demeurent (5). Dans le cas de la station spatiale chinoise cela devait néanmoins concerner quelques débris d’une centaine de kilos… Si l’on reste loin de la crainte de Gaulois de nous voir tomber le ciel sur la tête, cette perspective peut paraître effrayante.
Cependant, même pour les éléments non désagrégés, le risque de retomber sur une surface occupée reste faible en raison du fait que la Terre reste principalement composée d’océans.
Quoi qu’il en soit, si sous l’angle technique la chute de Tiangong-1 ne devait pas représenter de grands risques, il n’en demeure pas moins que bon nombre de précautions ont été prises de longue date sous l’angle juridique, afin de pallier tout dommage à survenir sur Terre en raison de l’exercice d’activités spatiales.
Le droit spatial de la responsabilité : une réponse internationale
Même pour les objets spatiaux sous contrôle, il reste compliqué de prédire avec précision le lieu de leur retombée une fois l’entrée dans l’atmosphère opérée. Face aux dangers engendrés par les activités spatiales, le droit international s’est très tôt emparé de la question de la responsabilité des Etats dans ce cadre. Les puissances spatiales ont, ainsi, souhaité garantir aux éventuelles victimes sur Terre un régime de réparation particulièrement favorable.
Le principe est posé à l’article VII du Traité de l’espace de 1967 (6), complété par la Convention sur la responsabilité de 1972 (7). Ces traités, adoptés sous l’égide des Nations unies, prévoient que l’Etat de lancement «est responsable du point de vue international des dommages causés […] sur la Terre, dans l’atmosphère ou dans l’espace extraatmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, à un autre État partie au Traité ou aux personnes physiques ou morales qui relèvent de cet autre État» (Article VII du Traité de l’espace de 1967).
La Convention de 1972 précise les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité. Il est notamment prévu un régime spécial de responsabilité, une responsabilité « absolue » de l’Etat de lancement, pour les dommages causés à la surface de la Terre. Ce régime est exceptionnel dans la mesure où un Etat peut être tenu responsable d’une faute qui n’est pas la sienne. Or, cette responsabilité est objective et non plafonnée, il n’existe aucune possibilité d’exonération, même pour force majeure, exception faite d’une faute lourde ou intentionnelle de la victime.
Ainsi, le droit international était prêt à parer à toute éventualité, y compris à la retombée d’une station spatiale sur Terre.
En tout état de cause, les dégâts ont été minimisés, puisque les restes de la station spatiale chinoise se sont finalement échoués à proximité du Point de Nemo, au nord-ouest de Tahiti, le 2 avril 2018, sans aucun dommage humain à déplorer.
Frederic Forster
Johanna Chauvin
Lexing Constructeurs informatique et télécoms
(1) Th. Noisette, « Chute imminente d’une station spatiale chinoise : où, quand et comment ? », NouvelObs.com 27-3-2018 ; Vidéographie « Chute de la station spatiale chinoise », Capital.fr 27-3-2018 ; « Chute de la station spatiale chinoise. Pékin promet un spectacle «splendide» », OuestFrance.fr 1-4-2018 .
(2) Tiangong signifie littéralement « Palais céleste« .
(3) Taikonaute est la terminologie employée pour désigner les « envoyés » chinois dans l’espace, au même titre que spationautes en Europe, astronautes aux Etats-Unis et cosmonautes en Russie.
(4) Ce cimetière maritime pour les objets spatiaux retombant sur Terre est également appelé « point Nemo » ou SPOUA, zone océanique la plus éloignée de toute terre émergée.
(5) Généralement, après frottements de l’air, il ne demeure de 10 à 20 % des objets spatiaux entrés dans l’atmosphère, le reste étant désintégré.
(6) Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 27 -1-1967, Traité et principes des nations unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique, New York, 2002, RTNU, Vol. 610, p. 205.
(7) Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, 29-3-1972, Traité et principes des nations unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique, New York, 2002, RTNU, Vol. 961, p. 187.