La procédure d’opposition de marque en France : nouveautés

procédure d'opposition de marqueEn application de la directive (UE) 2015/2436, la procédure d’opposition de marque en France doit être modifiée en 2019.

Transposition de la directive (UE) 2015/2436 au plus tard le 14 janvier 2019

La directive (UE) 2015/2436, adoptée le 16 décembre 2015, doit être transposée pour l’essentiel de ses dispositions, au plus tard le 14 janvier 2019, dans tous les Etats membres de l’Union européenne (1).

Elle succède à la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil qui, après la première directive 89/104 (CEE) qu’elle a codifiée avec ses modifications successives, « a harmonisé les dispositions fondamentales du droit matériel des marques qui, au moment de son adoption, étaient considérées comme ayant les incidences les plus directes sur le fonctionnement du marché intérieur, parce qu’elles entravaient la libre circulation des produits et la libre prestation de services dans l’Union » (Dir. 2015/2436, cons. 1).

Elle a pour objectif « d’aller au-delà du rapprochement limité réalisé au moyen de la directive 2008/95/CE, et d’étendre le champ d’application de ce rapprochement à d’autres aspects du droit matériel des marques qui régissent les marques protégées par l’enregistrement au titre du règlement (CE) n° 207/2009 » (Dir. 2015/2436, cons. 8).

En particulier, et alors que la directive 2008/95/CE ne contenait que des dispositions d’harmonisation de droit matériel, telles que les conditions de validité des marques, la directive (UE) 2015/2436 tout en poursuivant l’harmonisation des règles de droit matériel, introduit des principes d’harmonisation de plusieurs règles de procédure du droit des marques.

Parmi les procédures envisagées, la directive (UE) 2015/2436 aborde la procédure d’opposition de marque et prévoit que les Etats membres doivent mettre en place «une procédure rapide et efficace permettant de s’opposer, devant leurs offices, à l’enregistrement d’une marque» pour les motifs prévus à son article 5 (Dir. 2015/2436, art. 43).

Il est à noter que dans la plupart Etats de l’Union européenne, dont la France, l’arsenal législatif en vigueur depuis plusieurs années permet aux titulaires de marques de s’opposer à l’enregistrement d’une marque postérieure devant les offices de propriété industrielle. En revanche, les règles des procédures d’opposition peuvent être très différentes d’un pays à l’autre de l’Union européenne (2).

Aujourd’hui la directive (UE) 2015/2436 n’est pas encore transposée en droit français. Néanmoins, compte tenu de la date butoir du 14 janvier 2019, les titulaires de marques ont tout intérêt à anticiper les modifications majeures que sa transposition va introduire à l’égard de la procédure d’opposition de marque actuellement en vigueur en France, et ce, pour adapter leurs pratiques et leurs réflexes.

Modifications principales de la procédure d’opposition de marque française

La directive (UE) 2015/2436 va apporter trois principaux changements à la procédure d’opposition de marque actuellement en vigueur en France :

  • la possibilité de fonder une opposition sur plusieurs droits simultanément ;
  • l’introduction d’une période expressément destinée à permettre aux parties de négocier un accord ;
  • la modification des règles en matière d’appréciation des preuves d’usage de la marque antérieure opposée.

La possibilité de fonder une opposition sur plusieurs droits simultanément

A l’heure actuelle, la procédure d’opposition de marque en France ne peut être déposée que par les titulaires de certains droits, à savoir :

  1. le titulaire d’une marque antérieure, ou
  2. le licencié exclusif d’une marque antérieure si le contrat de licence ne le lui interdit pas, ou
  3. une collectivité territoriale en cas d’atteinte à son nom de collectivité territoriale, ou
  4. l’INAO en cas d’atteinte à une appellation d’origine ou d’une indication géographique, ou enfin
  5. un organisme de défense et de gestion d’une indication géographique en cas d’atteinte à cette indication géographique (CPI, art. L.712-4).

En outre, une opposition ne peut être fondée que sur un seul droit, de sorte que le titulaire autorisé qui souhaite fonder son opposition sur plusieurs droits, a l’obligation de déposer autant d’oppositions que de droits antérieurs invoqués à l’appui de l’opposition.

Après la transposition de la directive (UE) 2015/2436, une unique opposition de marque devant l’INPI pourra être fondée sur plusieurs droits, à condition que ces droits appartiennent au même titulaire. Cette modification obligatoire va permettre de réduire les frais d’opposition pour les titulaires de marque qui, aujourd’hui, pour des raisons stratégiques diverses, fondent leurs oppositions sur plusieurs marques et doivent donc déposer plusieurs oppositions devant l’INPI à l’encontre d’une même marque.

En outre, les Etats ont la possibilité d’élargir les fondements d’une opposition à des droits antérieurs autres que les marques et les appellations d’origine ou indications d’origine protégées. Il est donc possible qu’après le 14 janvier 2019, une opposition devant l’INPI pourrait être fondée sur un signe utilisé dans la vie des affaires (par exemple une dénomination sociale, un nom commercial, un nom de domaine), un droit au nom, un droit à l’image, un droit d’auteur ou un autre droit de propriété industrielle (par exemple un modèle pour fonder une opposition à une marque tridimensionnelle). A ce jour, le projet de texte de transposition de la directive (UE) 2015/2436 n’étant pas publié, il n’est pas encore certain que cette faculté d’extension des droits pouvant fonder une opposition en France sera adoptée en tout ou partie en France.

Introduction d’une période de négociation d’un accord amiable

Le déroulé de la procédure d’opposition de marque française devrait également être aménagé dans la mesure où la directive (UE) 2015/2436 impose aux Etats membres de prévoir la possibilité pour les parties à la procédure de se voir accorder, à leur demande conjointe, un délai d’au moins deux mois dans le cadre de la procédure d’opposition pour permettre éventuellement un règlement amiable (Dir. 2015/2436, art. 43).

Cette évolution est destinée à rapprocher la procédure d’opposition de marque en France de celle en vigueur depuis plusieurs années devant l’EUIPO pour les oppositions à l’encontre de l’enregistrement de marques de l’Union européenne, laquelle prévoit une première période de deux mois durant lesquelles les parties peuvent négocier un accord, cette période pouvant être étendue pour une durée maximale de 22 mois.

Actuellement, les parties à une procédure d’opposition de marque en France peuvent solliciter une suspension du délai de six mois imparti à l’INPI pour rendre sa décision, pour une durée maximale de 6 mois (CPI, art. L.712-4, 3, c). Cette possibilité est très souvent utilisée par les parties pour parvenir à une solution amiable et lorsqu’elles y sont parvenues, pour demander à l’INPI de clôturer l’opposition.

Compte tenu de cette période de 6 mois d’ores et déjà en vigueur, il est probable que le législateur français prévoira la possibilité pour les parties de disposer d’un délai d’au moins 6 mois pour négocier un règlement amiable, et sans que ce délai ne soit rattaché au délai imparti à l’INPI pour statuer.

Rôle accru de l’INPI en matière d’appréciation des preuves d’usage

A l’heure actuelle devant l’INPI, le titulaire de la marque opposée peut solliciter du déposant que ce dernier fournisse des preuves d’usage de sa marque si cette dernière est susceptible de déchéance, c’est-à-dire si elle est enregistrée depuis plus de 5 ans en France ou sur le territoire de l’Union européenne. Si l’opposant ne rapporte pas la preuve de l’usage sérieux de sa marque opposée pour au moins l’un des produits ou services sur lesquels l’opposition est fondée, l’INPI procède à la clôture de l’opposition (CPI, art. R.712-17).

Toutefois, les pouvoirs de l’INPI en matière d’appréciation de ces preuves d’usage sont actuellement limités dans la mesure où l’INPI, qui n’est pas le juge de la déchéance d’une marque française ou d’une marque de l’Union européenne (3), ne peut que vérifier la vraisemblance de l’usage de la marque antérieure au regard des pièces déposées par l’opposant.

L’INPI peut clôturer la procédure d’opposition lorsqu’il estime que les éléments fournis en vue de prouver l’usage de la marque antérieure opposée ne permettent manifestement pas d’établir une exploitation effective de la marque opposée pour au moins un des produits et services visés dans l’opposition et pour laquelle la marque antérieure est enregistrée.

En revanche, contrairement à l’EUIPO, l’INPI n’a pas d’autres pouvoirs et, en particulier il ne peut pas étudier le caractère réellement sérieux de l’usage de la marque opposée (4), ou apprécier si l’usage du signe modifié par rapport à la marque enregistrée vaut usage de la marque enregistrée ou au contraire altère le caractère distinctif de celle-ci (5).

La directive (UE) 2015/2436 organise, à l’inverse, au bénéfice des offices de propriété industrielle, un véritable pouvoir d’appréciation des preuves d’usage apportées par l’opposant, en prévoyant que « si la marque antérieure n’a été utilisée que pour une partie des produits et services pour lesquels elle est enregistrée, elle n’est réputée enregistrée, aux fins de l’examen de l’opposition prévu (…), que pour cette partie des produits et services » (Dir. 2015/2436, art. 44).

Après la transposition de la directive (UE) 2015/2436, l’INPI, à la demande du titulaire de la demande de marque contestée, devra donc vérifier si l’opposant rapporte la preuve de l’usage de la marque antérieure opposée pour l’ensemble des produits et services invoqués à l’appui de l’opposition. Dans la négative, seuls les produits et services de la marque antérieure opposée pour lesquels un usage sérieux sera rapporté seront pris en compte aux fins de comparaison avec les produits et services de la demande de marque contestée. En d’autres termes, il ne sera plus possible de fonder une opposition sur tous les produits et services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée en sachant qu’il est possible de rapporter la preuve de l’usage de quelques-uns d’entre eux uniquement et éviter la clôture de l’opposition devant l’INPI.

Une autre modification majeure doit être prise en compte par les titulaires de marque : la date de référence du calcul du délai de déchéance pour défaut d’usage sérieux.

Aujourd’hui, le déposant de la marque contestée ne peut demander des preuves d’usage sérieux de la marque antérieure opposée que si celle-ci est enregistrée depuis plus de cinq ans le jour où l’opposition est formée (13).

En application de la directive (UE) 2015/2436, le délai de déchéance pour défaut d’usage sérieux de la marque antérieure opposée, pour vérifier si et dans quelle mesure l’INPI doit poursuivre l’examen de l’opposition, devra être calculé en prenant comme date de référence la date de dépôt ou la date de priorité de la marque postérieure contre laquelle une opposition est déposée.

Après la transposition de la directive, les titulaires de marque ne pourront donc plus organiser en urgence l’usage de leur marque qu’ils envisagent opposer avant le dépôt de l’opposition devant l’INPI.

Conclusion

Au regard des modifications introduites par la directive (UE) 2015/2436 et en attendant la parution du texte de sa transposition en droit français, dès à présent il convient prendre en compte les modifications qui seront nécessairement transposées en droit français et en particulier le nouveau rôle d’appréciation des preuves d’usage de la marque antérieure dévolu à l’INPI dans le cadre de la procédure d’opposition de marque.

Il est vivement conseillé aux titulaires de marques de vérifier dès à présent l’usage réel et sérieux de leurs marques et de constituer un dossier de preuves d’usage, étant souligné que l’usage réel et sérieux d’une marque est une notion extrêmement encadrée et qu’il ne suffit pas d’utiliser un signe enregistré en tant que marque pour que l’usage réel et sérieux soit caractérisé au sens du droit des marques. En particulier, il est préconisé d’étudier si les signes utilisés sont bien ceux enregistrés à titre de marque et, si les marques sont exactement utilisées pour désigner tous les produits et les services pour lesquels elles ont été enregistrées.

Anne-Sophie Cantreau
Audrey Cuenca
Lexing Marques et noms de domaines

(1) Directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JOUE L 336 du 23.12.2015, p. 1–26).
(2) Study on the Overall Functioning of the European Trade Mark System, p. 231 : « Nearly all Member States provide for opposition proceedings based on prior rights within a brief period –2 or 3 months – after publication or (less frequently) after registration of the mark”.
(3) Actuellement seuls les juges judiciaires peuvent prononcer la déchéance d’une marque française ou l’EUIPO peut prononcer la déchéance d’une marque de l’Union européenne.
(4) CA Douai, 1er oct. 2014, n° 14/01479, Immochan.
(5) CA Paris, 1er juill. 2014, n° 13/21541, Quick Restaurants. – CA Paris, 31 mars 2015, n° 15/00630, Asianow. Par comparaison voir TUE, 9e ch., T-20/15, 14-4-2016 Henkell & CO. Sektkellerei KG (Allemagne) / Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ; Ciacci piccolomini d’aragona di bianchini società agricola (Italie)
(6) CA Paris, 22 sept. 2015, n° 15/05709, Loire Valley Distribution. – CA Paris, 2 avr. 2014, n° 14/02018, Vulcain Finance. – CA Paris, 2 déc. 2014, n° 14/ 07889, 4R EURL.

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