Le constat d’huissier dressé avant l’achèvement d’un site web ne permet pas d’établir un manquement du prestataire.
C’est ce qu’a décidé le Tribunal de commerce de Dijon dans une décision du 7 juin 2018.
Litige autour de la migration d’un site web
La société Déco Relief avait confié à la société Logomotion, prestataire informatique, la réalisation de travaux de migration sur son site web d’une version Prestashop 1.4 à 1.6, ainsi que la mise en place d’un nouveau serveur web.
Selon un devis de novembre 2014, le montant total des prestations était de 17.875,50 euros HT, laquelle somme devait être payée en trois échéances entre mars et mai 2015.
En cours d’exécution du projet, le client a formulé 85 demandes nouvelles, ce qui a entraîné une surfacturation de 3.997,50 euros HT et un décalage du planning.
Les relations ont commencé à se dégrader en avril 2016 et le client qui reprochait au prestataire de ne pas avoir finalisé les travaux, a fait procéder à quatre constats d’huissiers, entre avril et juillet 2016, afin de se ménager des preuves en cas de contentieux.
De son côté, le prestataire reprochait au client d’avoir manqué à son devoir de collaboration en :
- ne lui communiquant pas tous les éléments nécessaires ;
- ne parvenant pas à stabiliser son besoin.
C’est dans ce contexte que, suite à deux lettres de mise en demeure de juillet et décembre 2016, le client finissait par assigner le prestataire par acte du 2 février 2017.
Afin de combattre les constats d’huissiers réalisés par le client, le prestataire faisait lui aussi procéder à des constats d’huissier le 31 août 2017 en reproduisant le même scénario de tests mais sur la dernière version du site.
Livraison d’un site web : comment prouver les dysfonctionnements ?
La question posée au Tribunal était la suivante : un constat d’huissier, réalisé sur une version intermédiaire d’un site web et alors que le prestataire n’a pas encore annoncé que celui-ci était fonctionnel, peut-il permettre de rapporter la preuve de dysfonctionnements du site ?
Par une décision du 7 juin 2018 (1), le Tribunal de commerce de Dijon a estimé que :
Ces constats d’huissier sont intervenus trop tôt puisqu’ils ne portent pas sur la dernière version du site web réalisé par Logomotion.
En effet, les constats d’huissier avaient été réalisés entre le 21 avril et le 4 juillet 2016 et ce n’est que le 28 juillet 2016 que le prestataire annonçait au client que son nouveau site était fonctionnel et qu’il pouvait procéder à sa mise en ligne.
Le Tribunal a également débouté la société Déco Relief de ses demandes financières en ce que les montants réclamés n’étaient justifiés par aucune pièce.
La problématique des retards ne semble pas avoir été abordée par le client, ce qui aurait pu être un fondement utile si le prestataire s’était par exemple engagé à livrer un site web fonctionnel à une date précise.
Or, dans la présente affaire, il ne semble pas que l’engagement ait impliqué une date butoir de livraison des prestations.
En tout état de cause, comme précisé dans la décision, le client semblait être le principal responsable des retards puisqu’il avait formulé pas moins de 85 demandes de modifications ou d’évolution et n’avait pas transmis au prestataire les éléments permettant à ce dernier de réaliser les prestations.
Ainsi, même si une date limite avait été fixée, elle aurait sans doute été remise en cause par les retards imputables au client.
En définitive, la position adoptée par le tribunal est favorable à la maîtrise d’œuvre et la met à l’abri d’une situation potentiellement très inconfortable : en effet, elle se retrouverait dans une situation d’insécurité juridique forte si le client pouvait apprécier la qualité des prestations avant que celles-ci soient terminées.
Il est donc nécessaire d’apprécier le caractère fonctionnel d’une prestation sur sa version finale et non sur une version intermédiaire qui n’est, par définition, pas aboutie et qui comprend donc nécessairement des anomalies ou des écarts par rapport au résultat attendu par le client.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
Lexing Contentieux informatique
(1) Tribunal de commerce de Dijon, 7 juin 2018 (à l’heure où nous publions, nous ne savons pas si cette décision est frappée d’appel ou définitive).