La protection des travailleurs indépendants utilisant des plateformes est actuellement au cœur de nombreux débats.
Le mercredi 5 septembre 2018, le Président de la République a promulgué la loi n° 2018-771 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
En vertu du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, des sénateurs et députés ont saisi le Conseil constitutionnel avant la promulgation de cette loi pour qu’il se prononce sur sa conformité à la Constitution.
A notamment fait l’objet de la saisine, l’article 66 de la loi qui avait pour objet de compléter les dispositions du Code du travail relatives à la responsabilité sociale des plateformes régie par les articles L.7342-1 et suivants du Code du travail.
Dans sa décision n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, le Conseil constitutionnel a estimé que cet article n’était pas conforme à la Constitution, étant un « cavalier législatif ».
L’article 66 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : un renforcement de protection des travailleurs indépendants
La charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de la responsabilité sociale de la plateforme
En premier lieu, l’article 66 de la loi prévoyait d’ajouter des alinéas à l’article L.7342-1 du Code du travail. Cet article du Code du travail, le premier du chapitre relatif à la responsabilité sociale des plateformes, définit les caractéristiques des plateformes soumises à cette responsabilité sociale. Il énonce que la plateforme qui « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix », « a, à l’égard des travailleurs concernés, une responsabilité sociale qui s’exerce dans les conditions prévues au présent chapitre ».
L’article 66 en question offrait la possibilité à toute plateforme visée par l’article L.7342-1 du Code du travail d’établir « une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ». L’article 66 indiquait que cette charte devait être « publiée sur le site internet de la plateforme et annexée aux contrats ou aux conditions générales d’utilisation qui la lient aux travailleurs ».
Il était prévu que cette charte devait rappeler les dispositions du chapitre relatif à la responsabilité sociale des plateformes et en préciser les modalités d’application concrète, l’article 66 donnant une liste d’éléments devant figurer dans la charte.
Certains de ces éléments présentaient un certain intérêt et pouvaient constituer un véritable apport pour la protection des travailleurs indépendants et de l’environnement concurrentiel des plateformes, comme la garantie du « caractère non-exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme » ou encore l’information des travailleurs sur « la qualité de service attendue sur chaque plateforme et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur ainsi que les garanties dont ce dernier bénéficie dans ce cas ».
L’article 66 rappelait, conformément à l’article L.8221-6-1 du Code du travail, qu’un travailleur indépendant n’est pas un salarié, indiquant que « l’établissement de la charte et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1° à 8° ne peuvent caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs ».
Un renforcement du droit à la formation professionnelle
L’article 66 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel remplaçait le second alinéa de l’article L. 7342-3 du Code du travail énonçant :
[Le travailleur indépendant] bénéficie, à sa demande, de la validation des acquis de l’expérience mentionnée aux articles L. 6111-1 et L. 6411-1. La plateforme prend alors en charge les frais d’accompagnement et lui verse une indemnité dans des conditions définies par décret.
Cet alinéa était remplacé par un alinéa prévoyant que le travailleur indépendant peut bénéficier des actions de formation professionnelle de l’article L. 6313-1, dont les frais d’accompagnement sont pris en charge par la plateforme et qui doit, en plus, lui verser une indemnité. Le second alinéa qui aurait été introduit par l’article 66 était relatif au compte personnel de formation du travailleur.
Le champ d’application des obligations relatives à la responsabilité sociale du travail
L’article 66 de la loi proposait une nouvelle rédaction de l’article L.7342-4 du Code du travail. L’article L.7342-4 dispose actuellement que :
Les articles L. 7342-2 et L. 7342-3 ne sont pas applicables lorsque le chiffre d’affaires réalisé par le travailleur sur la plateforme est inférieur à un seuil fixé par décret.
Pour le calcul de la cotisation afférente aux accidents du travail et de la contribution à la formation professionnelle, seul est pris en compte le chiffre d’affaires réalisé par le travailleur sur la plateforme.
La rédaction de l’article 66 était beaucoup plus restrictive concernant ces exclusions, ne visant que l’assurance du risque des accidents du travail.
La volonté de protéger les travailleurs indépendants
L’article 66 a été adopté dans le but d’améliorer le sort des travailleurs indépendants en renforçant leurs droits. Il s’inscrit dans un contexte dans lequel la volonté de protéger les utilisateurs professionnels des plateformes est de plus en plus forte, comme en témoigne la proposition de règlement de la Commission européenne du 26 avril 2018 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne.
Cependant, cet article a été déclaré comme inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel et, dès lors, il a été supprimé de la loi promulguée.
La sanction du Conseil constitutionnel : un cavalier législatif
En l’espèce, le Conseil constitutionnel a été saisi car des parlementaires ont contesté la procédure d’adoption de l’article 66, « qui aurait été introduit par amendement en première lecture à l’Assemblée nationale en méconnaissance de l’article 45 de la Constitution ». Cet article dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Si l’amendement ne présente pas un tel lien, celui-ci n’est pas conforme à la Constitution. Le but de cet article est d’assurer la qualité des débats parlementaires.
Ce texte sanctionne la pratique des « cavaliers législatifs ».
Un « cavalier législatif » est « une mesure introduite dans les autres types de lois ordinaires par un amendement dépourvu de lien avec le projet ou la proposition de loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » (1).
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, a estimé que « l’article 66 ne présente pas de lien, même indirect, avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il a donc été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ».
Dès lors, cet article n’a pas pu être promulgué. Il faut néanmoins noter que seule la procédure d’adoption est contestée, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur le fond. Ainsi, il serait possible de voir à nouveau ce texte dans un projet ou proposition de loi ultérieur.
Virginie Bensoussan-Brulé
Baptiste Martinez
Lexing Contentieux numérique
(1) Raphaël Déchaux, « L’évolution de la jurisprudence constitutionnelle en matière de « cavaliers » entre 1996 et 2006 ».