La technologie blockchain constitue un mode de preuve admissible selon les tribunaux de Chine.
Alors qu’entre 2016 et 2017, les autorités chinoises s’étaient montrées hésitantes quant à la légalité des cryptomonnaies, l’interdisant puis l’autorisant successivement, il semble désormais acquis qu’elles soient non seulement permises mais que les technologies blockchain puissent constituer des modes de preuve admissibles en justice.
En effet, un tribunal a considéré, en Chine, en juin 2018, que des preuves authentifiées par la technologie blockchain étaient juridiquement recevables.
Cette décision a été rendue par l’ “Hangzhou Internet Court”, instauré en août 2017, qui est l’un des premiers tribunaux de Chine à ne traiter que des affaires relatives aux problématiques du numérique et de l’internet.
Les faits
Dans cette affaire, le demandeur, une société de médias basée à Hangzhou, reprochait à une société de technologie basée à Shenzhen une violation de ses droits d’auteur sur des images et des pages de son site internet.
Au cours de la procédure, le demandeur, afin de rapporter la preuve de ses allégations, avait tenté d’établir :
- la preuve électronique qu’il était bien le détenteur des droits de propriété intellectuelle sur les images et les pages web en question en établissant que ces images avaient été encodées sur le site baoquan.com (1), une plateforme de dépôt de preuves basée sur la blockchain ;
- la preuve d’une violation des images par des captures d’écran du site contrefacteur.
Si le deuxième mode de preuve peut être considéré comme un mode de preuve “commun”, la preuve électronique d’une propriété par une blockchain est pour sa part relativement inédite, même si c’est l’une des fonctions principales de la blockchain.
Sans avoir pu éprouver le site baoquan.com, lequel est intégralement rédigé en langue chinoise, il semble donc qu’il s’agisse d’une plateforme de service de certificat électronique permettant d’encoder des éléments numériques (images, codes sources, pages web etc.) et de les horodater afin de se préconstituer la preuve électronique que :
- celui qui a encodé ces éléments numériques en est bien le propriétaire ;
- l’encodage s’est fait à telle date et à telle heure, permettant ainsi de justifier d’une antériorité en cas de contestation.
La validation du bloc contenant ces éléments numériques implique donc une validation de ces informations qui ne pourront ensuite plus être remises en question, du moins sur cette blockchain.
Décision de la Cour
La question qui était posée à la Cour était donc la suivante : la titularité d’un droit peut-elle être établie par le processus d’authentification d’une blockchain ?
Autrement dit, les informations contenues sur une blockchain peuvent-elle avoir la même valeur probante que celles des registres notariaux ou de gestion de droits d’auteurs (INPI, SACEM) ?
Dans le cas d’espèce, le juge a considéré que la blockchain du site Baoquan pouvait valablement constituer un mode de preuve électronique de la titularité de droits et a fait droit aux demandes du requêrant.
Le juge a commenté :
Le tribunal estime qu’il devrait rester ouvert et neutre sur l’utilisation de blockchain des analyses au cas par cas. Nous ne pouvons pas exclure la blockchain simplement parce que c’est une technologie complexe mais nous ne pouvons pas non plus en généraliser l’utilisation comme mode de preuve juste parce qu’elle est inviolable et traçable. Dans le cas d’espèce précis, l’utilisation d’une plateforme de blockchain tierce, fiable et sans conflit d’intérêts, permettait de constituer le fondement juridique de la preuve d’une violation de droits de propriété intellectuelle.
Portée de la décision
Le juge considère donc que certaines blockchains pourront constituer des modes de preuves légaux selon les cas de figure.
Cette décision a le mérite d’être l’une des premières, à notre connaissance, conférant à la blockchain un rôle probatoire.
Il semble, au demeurant, que cette décision ne constituera pas un cas isolé puisque la “Hangzhou Internet Court” a lancé une plateforme de preuve électronique dédiée renvoyant vers des sites de notarisation traditionnelle mais également vers des plateformes de dépôt de preuves basées sur la blockchain (http://evidence.netcourt.gov.cn/#/page).
Il semble donc que les plateformes blockchain répertoriées sur ce site pourront acquérir une forme de présomption de valeur probante.
En France, aucune décision n’a encore conféré à la blockchain de valeur probante.
Théoriquement rien ne devrait s’opposer à une telle admission dans la mesure où, conformément à l’article 1358 du Code civil et à la jurisprudence , la preuve de faits peut être rapportée par tous moyens.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
Lexing Département Contentieux Informatique
(1) Site baoquan.com