Selon la Cour de cassation, un contexte politique polémique ne peut légitimer des propos diffamatoires virulents.
L’affaire présentée à la Haute Cour concernait la publication par un particulier, sur son blog, ainsi que sur sa page Facebook, de deux articles qui reprochaient à une conseillère municipale d’avoir tenu des propos islamophobes dans un commentaire qu’elle avait rédigé sur le site internet du journal Le Point concernant un article intitulé « Des élus locaux corrompus ont pactisé avec les gangsters et les islamo-nazis » (1).
L’élue en question avait ainsi indiqué que l’ancien maire de la ville était un exemple d’élu corrompu en installant une « école coranique illégale » dans les locaux municipaux.
Le prévenu a ainsi diffusé sur internet ce commentaire en reprochant à l’élue d’avoir associée les membres de l’association des musulmans de la ville à des « islamo-nazis » en décrivant cette association comme étant une « école coranique illégale » et que de tels propos étaient « infames », « irresponsables » et « indignes d’une élue ».
Les juges de première instance ont relaxé ce dernier des fins de la poursuite. L’élue a relevé appel de cette décision :
- condamnant le prévenu du chef de diffamation publique envers un particulier, ainsi qu’au
- versement à l’élue la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice.
Le prévenu a formé un pourvoi en cassation.
La qualification de propos diffamatoires
Selon l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 (2), la diffamation se définit comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait set imputé ».
La jurisprudence exige, de façon constante, que, pour être diffamatoire, l’allégation ou l’imputation doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, à défaut de quoi, cela ne peut qu’être une injure.
La précision du fait peut varier et peut ainsi se caractériser même de façon implicite ou déguisée. Elle doit se distinguer d’une appréciation subjective qui, en cas de preuve, doit exclure toute incrimination d’une manifestation libre d’opinion.
En l’espèce, il y avait bien des faits précis d’imputés susceptibles de faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire.
En effet, selon la Cour de cassation, qui reprend la Cour d’appel, il y avait bien caractérisation des propos diffamatoires tenus par le prévenu. Ce dernier imputait à l’élue d’avoir tenu des propos islamophobes, qui consistaient à associer les membres de l’association des musulmans de la ville à des « islamo-nazis ».
Or, c’est bien indépendamment de la propre opinion du prévenu, qui qualifie les propos diffamatoires de l’élue « d’infâmes », « d’irresponsables » et « d’indignes d’une élue », qu’il lui a imputé ces faits précisément, qui étaient, par ailleurs, contestés par cette dernière.
Rejet du bénéfice de la qualité d’élue
L’appelante se prévalait de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881, au titre duquel la diffamation commise « à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers […] un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent » est également punie d’une amende de 45.000 euros.
A ce titre, elle ajoutait qu’elle bénéficiait de la protection fonctionnelle dévolue aux élus municipaux (3).
Or, la diffamation envers un citoyen chargé d’un mandat public ne peut s’apprécier selon le mobile qui l’a inspiré ou le but recherché par son auteur. En effet, elle dépend de la nature du fait sur lequel elle porte.
Elle doit aussi contenir la critique d’actes de la fonction ou encore la qualité ou la fonction de l’élue doit avoir été le moyen d’accomplir le fait qui lui est imputé.
En l’espèce, c’est le commentaire d’un article publié par l’élue sur le site internet du journal Le Point que le prévenu a diffusé sur son blog, ainsi que sur sa page Facebook. L’élue a ainsi publié ce commentaire dans un cadre privé.
La Cour de cassation confirme ainsi l’arrêt de la Cour d’appel, qui a justement relevé que les faits imputés à l’élue n’ont pas été publiés dans le cadre de ses fonctions ni par un mode de communication mis à sa disposition que ce soit de la ville ou du conseil municipal.
Ces faits ne pouvaient ainsi constituer que des faits de diffamation publique envers un particulier et non envers un citoyen chargé d’un mandat public, peu importe le fait que l’élue bénéficiait de la protection fonctionnelle.
Exception de bonne foi et contexte polémique politique
En matière de diffamation publique ou non, une présomption de mauvaise foi pèse sur les épaules du prévenu qui, pour la renverser, peut avancer des faits justificatifs, que sont, notamment, l’exception de vérité et l’exception de bonne foi.
La bonne foi se distingue ici de la volonté de nuire, qui est souvent intrinsèquement présente, mais qui permet de considérer que les propos attentatoires à l’honneur ou à la réputation relèvent d’un certain droit à l’information et de la liberté d’expression.
De façon classique, les tribunaux apprécient l’exception de bonne foi selon, notamment, la légitimité du but poursuivi, l‘absence d’animosité personnelle et une certaine prudence dans l’expression.
En l’espèce, le prévenu faisait valoir sa bonne foi, eu égard à :
- la nature des propos tenus par les parties,
- leur qualité, ainsi que
- le contexte politique polémique
Ce qui selon lui, justifiait une plus grande liberté d’expression.
La pris en compte du contexte
Aucune animosité personnelle n’a été relevée entre les parties et la Cour de Cassation. La Cour d’appel relèvent, en effet, qu’en l’espèce, une plus grande liberté d’expression pouvait se justifier. Le contexte politique légitimant le but poursuivi par le prévenu lors de la publication de ses propos.
Pour autant, les deux Cours ont toutes deux considéré que le prévenu n’avait fait l’objet d’aucune prudence dans ses propos en affirmant :
« en des termes particulièrement virulents, de façon péremptoire, au présent de l’indicatif, que [l’élue] associe les membres de l’Association des musulmans de la ville à des « islamo-nazis » » (1).
Enfin, l’élue n’ayant elle-même jamais visé expressément l’association des musulmans de la ville dans ses propos, « même de manière implicite », le prévenu ne pouvait bénéficier de l’exception de bonne foi.
La Cour de cassation rejette ainsi le pourvoi, condamnant de ce fait le prévenu du chef de diffamation publique envers l’élue en tant que particulier.
Chloé Legris
Annabelle Moreaux
Lexing Pénal numérique et e-réputation
(1) Cass., crim., 16-10-2018, n°17-87418
(2) Loi du 29-7-1881 sur la liberté de la presse
(3) CGCT, art. L.2123-35 al 2