Le 19 décembre 2019, la CJUE a jugé que la revente d’un e-book constituait une nouvelle communication au public soumise à autorisation des ayants-droit.
Le e-book : communication au public ou distribution ?
Tout a commencé par une initiative de Tom Kabinet qui avait mis en place un marché virtuel du e-book sous forme d’un « club de lecture », permettant à ses utilisateurs la revente des ebooks, selon un processus similaire à la revente des livres d’occasion et sans accord préalable des éditeurs. Deux associations, ayant pour objet la défense des intérêts des éditeurs néerlandais, considérant que cela constituait une atteinte au droit d’auteur, ont attaqué la plateforme.
Se fondant sur une évolution technologique des formes d’exploitation du livre, Tom Kabinet faisait valoir l’épuisement des droits par première mise sur le marché du e-book, appliquant au livre diffusé sous vecteur numérique les règles applicables aux traditionnels ouvrages papier. Saisie du litige, la Cour de justice de l’Union européenne devait trancher la question suivante afin de déterminer le régime juridique de la vente de e-books : la fourniture par téléchargement, pour un usage permanent, d’un e-book, relève-t-elle du droit de distribution – lequel permet seul d’invoquer l’épuisement des droits – ou de communication au public ? (1)
Pour mémoire, l’article 3 de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (2), « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés » prévoit que :
« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».
Cette communication au public se distingue de la distribution, prévu à l’article 4, et définie comme « toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles‑ci ». Or, seule cette dernière permet, comme le prévoir expressément la directive, d’invoquer l’épuisement des droits en cas de première vente.
Appréciant le mode de diffusion, afin de qualifier le droit d’auteur en cause, la Cour a rappelé la volonté du législateur de distinguer distribution électronique et distribution matérielle d’œuvres. La Cour s’inscrit dans la continuité de la directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information qui vise à permettre la rémunération appropriée des auteurs pour l’utilisation de leurs œuvres.
Retenant que la communication au public « couvre les actes de transmission interactive à la demande », la Cour en conclut qu’en l’espèce, c’est le droit de communication qui s’applique, et impose donc l’accord des ayants-droit s’agissant de la revente de e-books. La règle de l’épuisement des droits n’a dès lors pas vocation à s’appliquer aux e-books.
Telle n’est pas le cas pour les copies matérielles qui relèvent pour leur part, comme le rappelle la Cour, du droit de distribution.
Qu’en est-il des logiciels ?
Cette victoire pour les éditeurs de e-book pourrait-elle avoir des implications pour d’autres types de biens dématérialisés comme les logiciels ? Dans un arrêt du 3 juillet 2012 UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp (3), la CJUE avait admis la légalité de la revente des licences de logiciels d’occasion distribués par téléchargement à partir d’un site internet, en vertu de la règle de l’épuisement des droits de distribution. Rappelons qu’en matière de logiciel, la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (4) est venu préciser en son article 4 que « La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci », autorisant de fait la revente de logiciels d’occasion.
Pour la CJUE, c’est la nature même de l’œuvre et de sa protection qui justifie cette différence de solution. D’abord, parce que les logiciels sont régis par une réglementation spécifique, laquelle aurait précisément pour but une telle assimilation entre copie matérielle et immatérielle. Ensuite, parce que d’un point de vue économique et fonctionnel, la transmission en ligne d’un logiciel équivaut à une remise matérielle, ce qui n’est pas le cas pour le livre.
À la suite de la décision du TGI de Paris du 17 septembre 2019 (5) dans le litige opposant l’éditeur de jeux vidéo VALVE à UFC-Que choisir, et à l’annonce de l’éditeur de jeux vidéo de faire appel de la décision, la CJUE pourrait bientôt avoir l’occasion de préciser sa jurisprudence en ce qui concerne la revente de programmes informatiques.
Marie Soulez
Lexing Département Propriété intellectuelle contentieux
(1) CJUE 19-12-2019, Aff. C-263/18, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers c/ Tom Kabinet Internet
(2) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information
(3) CJUE 3-07-2012, Aff. C-128/11, UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp
(4) Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (version codifiée)
(5) TGI Paris 17-09-2019, n° 16-01008, UFC c/ Valve.