L’objectif clairement affiché par la proposition de loi Avia est de « Lutter contre la propagation des discours de haine sur internet. Nul ne peut contester une exacerbation des discours de haine dans notre société » (Exposé des motifs).
Selon un sondage cité par la proposition de loi, « 58 % de nos concitoyens considèrent qu’internet est le principal foyer des discours de haine ».
C’est la raison pour laquelle en mars 2018, Laetitia Avia, députée LREM, Karim Amellal, écrivain, et Gil Taieb, vice-président du CRIF se sont vus confiée la mission de rechercher des mesures concrètes pour lutter contre ces délits sur internet. La proposition de loi Avia a été déposée en mars 2019 et adoptée à une très large majorité en première lecture par l’Assemblée nationale en juillet 2019 (T.A. n° 310).
Par la suite, le Sénat l’a retoqué en décembre 2019, puis une commission parlementaire mixte s’est prononcée en janvier dernier. Cette dernière n’ayant malheureusement pas réussit à mettre d’accord députés et sénateurs, une seconde lecture a eu lieu par les deux chambres en février courant.
En cause, les risques pour la liberté d’expression : devant l’obligation faite aux plateformes de retirer dans un délai de 24 heures une série de contenus jugés haineux, sous peine d’amende, ces dernières risquent de retirer, par excès de prudence, des contenus pourtant licites.
La proposition de loi Avia et la liberté d’expression
Sans vouloir minimiser l’intérêt de la loi face au phénomène de la parole haineuse, le Sénateur David Assouline souligne les dangers : donner un pouvoir régalien aux plateformes, « celui d’exercer la censure, en prétendant les responsabiliser (…) Leur filet de censure va devenir beaucoup plus large, et nous ne connaissons pas leurs algorithmes ».
En effet, le texte propose de définir la haine sur internet comme : « Tout contenu contrevenant manifestement aux cinquième (1) et sixième (2) alinéas de l’article 24, ainsi qu’aux troisième (3) et quatrième (4) alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
Cette définition très large incrimine toutes les publications relevant des délits de presse, à savoir celles discriminant, incitant à la haine ou appelant à la violence contre une personne en raison de son origine, son ethnie, sa nationalité, sa religion, son sexe, son orientation sexuelle, son identité de genre, ou son handicap. Elle incrimine également les messages faisant l’apologie (ou niant) des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, ou génocides ainsi que la pédopornographie et le terrorisme.
En raison de son champ très large, de nombreuses associations de défense des libertés en ligne craignent une application « floue » du texte. Maître Alain Bensoussan interviewé par L’Obs (5) se veut plutôt rassurant :
Tout sera apprécié in concreto par le juge. Jusqu’à présent, les lois concernaient les messages de haine adressés de manière générale contre une population, là ce sera plus pour des personnes plus précisément ciblées. Ça va corriger un trou dans la raquette ».
En pareil cas, le juge procède en effet, in concreto à une mise en balance des intérêts en présence, ainsi qu’à une analyse du contexte dans lequel s’inscrivent les propos litigieux et la nature et les enjeux qui y sont attachés.
Les aménagements apportés par le Sénat
La proposition de loi Avia vient d’être modifiée en deuxième lecture en commission au Sénat (Proposition de loi n° 300 du 5 février 2020).
Ce dernier a notamment réaffirmé en séance que le délai de 24 heures pour le retrait d’un contenu manifestement haineux devrait être un objectif pour les grandes plateformes, donc une obligation de moyens, le régulateur, en l’occurrence le CSA, devant s’assurer qu’elles mettent en œuvre les moyens humains et techniques nécessaires pour pouvoir l’atteindre.
Le Sénat a mis à son ordre du jour du 26 février 2020, l’examen de la proposition de loi.
Isabelle Pottier
Avocat, Lexing Alain Bensoussan Avocats
Directeur du département Etudes et publications
(1) Apologie de certains crimes (atteintes volontaires à la vie, atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, agressions sexuelles, vols, extorsions, destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes), des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, y compris si ces crimes n’ont pas donné lieu à la condamnation de leurs auteurs.
(2) Cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics.
(3) Injure commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
(4) Injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.
(5) « Loi Avia : au fait, c’est quoi la haine en ligne ? », Alain Bensoussan interviewé par L’Obs le 23 janvier 2020.