La portée de l’obligation de retrait de contenu illicite par l’hébergeur est recadrée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) .
En l’espèce, un utilisateur de Facebook a publié des propos insultants à l’égard d’une personnalité politique autrichienne. Ces faits ont été condamnés par les juridictions nationales autrichiennes. La Cour suprême autrichienne a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Elle désire notamment savoir si, outre la suppression des contenus identiques à celui jugé illicite, l’hébergeur doit procéder à la suppression de contenus équivalents. En outre, la juridiction suprême souhaite savoir si cette obligation peut avoir une portée mondiale.
La décision de la CJUE revêt donc une importance capitale compte tenu du rôle joué par les réseaux sociaux dans la propagation des contenus illicites, et de l’atteinte à la liberté d’expression que peuvent engendrer de telles suppressions.
Dès lors, il convient de revenir sur les points clés de cet arrêt du 3 octobre 2019 de la CJUE (1).
Cas d’un contenu « identique » à un contenu déjà jugé illicite
La responsabilité des hébergeurs tels que Facebook est encadrée par la directive de 2000 sur le commerce électronique (2). Son article 15 interdit la surveillance généralisée et son article 14 ne permet de mettre en cause l’hébergeur que si celui-ci est informé de la présence d’un contenu déclaré comme illicite mais n’agit pas ou ne le supprime pas rapidement.
Afin d’échapper à la prohibition de la surveillance généralisée, la CJUE se fonde sur l’article 47 de cette même directive, en vertu de laquelle l’article 15 ne s’applique pas « à un cas spécifique ». Tel est précisément le cas pour un contenu précis jugé illicite par une juridiction nationale.
Dès lors, puisque le contenu est identique à celui qui a été jugé illicite, alors seul un contenu est visé, et la surveillance n’est donc pas généralisée.
Cas d’un contenu « équivalent » à un contenu déjà jugé illicite
La CJUE définit brièvement un contenu équivalent à un contenu illicite comme le contenu qui « reste, en substance, inchangé, et dès lors, diverge très peu de celui ayant donné lieu au constat d’illicéité ».
Selon la Cour, l’obligation de retrait vise donc à empêcher la réapparition d’un contenu illicite qui véhiculerait, en substance, un message de même portée mais formulé en des termes légèrement différents.
La CJUE énonce que pour répondre à ce critère d’équivalence, ce nouveau contenu doit présenter « des éléments spécifiques dûment identifiés par l’auteur de l’injonction, tels que le nom de la personne concernée par la violation constatée précédemment, les circonstances dans lesquelles cette violation a été constatée ainsi qu’un contenu équivalent à celui qui a été déclaré illicite ».
Sur ce point, la CJUE prend le soin de préciser que l’hébergeur ne sera pas laissé seul pour apprécier de l’équivalence ou non du nouveau contenu. En effet, la Cour précise que l’injonction devra mentionner les contenus dits équivalents, notamment afin que l’hébergeur puisse avoir recours « à des techniques et à des moyens de recherche automatisés », à l’instar d’une recherche par mots-clés.
Obligation de retrait d’un contenu illicite, une obligation de portée mondiale
La directive de 2000 n’interdisant pas de conférer une portée mondiale à l’obligation de retrait par l’hébergeur des contenus illicites, la CJUE a saisi l’occasion pour le formuler expressément.
Si cette solution apparaît logique au regard du déploiement mondial de réseaux sociaux tels que Facebook, il faudra toutefois veiller au respect des règles du droit international.
Néanmoins, cette décision laisse en suspens plusieurs interrogations, dont notamment le fait de savoir si l’hébergeur est tenu à une obligation de moyens ou de résultat ?
Virginie Bensoussan-Brulé
Lexing Contentieux numérique
Cyrielle Girard-Berthet
Auditrice de justice de la promotion 2020
Ecole Nationale de la Magistrature
(1) Arrêt de la CJUE du 03-10-2019, Facebook Ireland Limited c/ E. G.-P., aff. C-18/18.
(2) Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur dite «directive sur le commerce électronique» (JOUE L 178 du 17-07-2000).