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Dépôt d’une marque pour former opposition à l’enregistrement d’une marque postérieure identique
La société Jeco Distribution, spécialisée dans la commercialisation d’emballages, notamment sur internet, justifie de droits sur le signe <Jeco> à titre de dénomination sociale, de nom commercial, de nom de domaine ainsi qu’au titre d’une marque verbale JECO en 2013 et protégée en classe 9, notamment pour des logiciels, matériel et accessoires informatiques.
Désireuse d’étendre la protection de sa marque, elle dépose, en 2018, une nouvelle marque verbale JECO désignant en outre, divers produits en classes 2 et 16.
Monsieur X, dirigeant d’une société concurrente Univers Graphique, forme alors opposition à l’encontre de cette demande d’enregistrement, sur le fondement d’une marque verbale JECO, déposée en 2017 en classes 16 et 20.
L’INPI ayant partiellement accueilli l’opposition et en l’absence de solution amiable, la société Jeco saisit le Tribunal judiciaire de Lille afin de se voir transférer la marque JECO déposée en fraude de ses droits et condamner la société Univers Graphique ainsi son dirigeant sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.
Ces derniers n’ayant pas constitué avocat, le tribunal judiciaire de Lille a rendu, le 28 février 2020 (1), un jugement réputé contradictoire, retenant le dépôt frauduleux et faisant droit aux demandes de transfert et de condamnation formulée par la société Jeco.
Caractérisation du dépôt frauduleux : détournement de la fonction de la marque
Le caractère frauduleux d’un dépôt doit être démontré par celui qui l’invoque et est apprécié in concreto par les juges du fond.
Est ainsi considéré comme frauduleux le dépôt d’une marque en apparence régulier mais réalisé dans le but de nuire aux intérêts d’un tiers (2). C’est notamment le cas lorsque le déposant a connaissance de l’utilisation antérieure, par un concurrent, d’un signe identique ou similaire à celui objet du dépôt. La fonction de la marque n’est alors plus de distinguer les produits de ceux des concurrents et permettre l’identification de l’origine des produits et services, mais de s’approprier un signe au détriment d’un concurrent.
Dans la droite ligne de la jurisprudence en la matière (3), énonce qu’agissant sur le fondement de l’article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle, le demandeur doit rapporter la preuve :
- de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par le propriétaire de la marque revendiquée ;
- de l’intention du déposant de le priver d’un signe nécessaire à la poursuite de son activité.
Après avoir analysé les pièces produites par le seul demandeur, le tribunal retient que la preuve du dépôt frauduleux est suffisamment rapportée par :
- la connaissance par le déposant de la dénomination sociale de la société Jeco Distribution ainsi que de l’existence de produits concurrents de ceux du déposant, frappés de la marque « JECO », commercialisés par la société Jeco Distribution, notamment sur le site de vente en ligne Amazon ;
- l’absence de preuve d’usage de la marque arguée de fraude antérieurement à son dépôt alors qu’il utilise par ailleurs plusieurs autres marques très différentes pour désigner le même type de produits ;
- l’opposition formée par Monsieur X à l’encontre de la demande de marque JECO, traduisant son intention de priver la société Jeco d’un signe nécessaire à la poursuite de son activité.
Si la solution apparaît conforme aux solutions jurisprudentielles, on peut regretter l’absence de constitution des défendeurs dans cette affaire et s’interroger sur la solution qui aurait été rendue si ceux-ci avaient présenté une défense.
Notamment, si l’existence de droits antérieurs du demandeur sur le signe <Jeco> pour une activité similaire apparaît établie, le fait que ces droits aient été « sciemment méconnus » par les défendeurs aurait sans doute pu être débattu.
De la même manière, le tribunal prend soin de souligner, qu’en l’absence d’avocat constitué, le défendeur ne justifie d’aucun usage de la marque arguée de fraude antérieurement à son dépôt (sic). Il semble délicat de déduire une intention frauduleuse de l’absence d’exploitation d’une marque avant son dépôt mais cette carence des défendeurs, combinée à l’opposition formée sur la base de cette marque conduit le tribunal à retenir l’intention de priver le demandeur d’un signe nécessaire à la poursuite de son activité.
Plus qu’imprudente, l’absence de constitution et de conclusions des défendeurs apparaît chèrement sanctionnée sauf à considérer que celle-ci soit elle-même un indice de l’intention frauduleuse retenue par le tribunal.
Sanction du dépôt frauduleux : transmission de la propriété de la marque
Le dépôt frauduleux peut être sanctionné par :
- l’annulation du dépôt, en application de l’adage fraus omnia corrumpit ;
- le transfert de propriété de la marque déposée au profit de la personne qui estime avoir un droit sur la marque, en application de l’article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle.
Le recours à l’une ou l’autre de ces sanctions est guidé par l’intérêt que présente la marque pour les intéressés. En l’occurrence, et bien qu’agissant sur les deux fondements, la société Jeco sollicitait le transfert à son profit du dépôt frauduleux à quoi le tribunal fait droit.
Une fois le caractère frauduleux du dépôt retenu, la solution apparaît logique au regard des droits antérieurs opposés par le demandeur.
Usage du dépôt frauduleux et référencement sur internet : un acte de concurrence déloyale
Outre les demandes de transfert de la marque jugée frauduleuse, le demandeur sollicitait la condamnation de son concurrent et de son dirigeant sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire. Elle leur reprochait en effet d’avoir utilisé la marque déposée frauduleusement pour commercialiser des produits similaires aux siens sur la plateforme Amazon et, ainsi bénéficier de sa visibilité.
Le Tribunal relève ainsi qu’un tel dépôt constitue un acte de concurrence déloyale et parasitaire car il a été effectué « dans le but d’obtenir la visibilité créée par ce concurrent sur un site de vente en ligne, de façon à tirer profit de ses investissements financiers et intellectuels pour parvenir sans bourse délier à vendre des produits similaires voire identiques » (1).
Là encore, peut-on regretter l’absence de présentation d’une défense qui aurait abouti à une solution sinon différente, sans doute plus nuancée.
Virginie Brunot
Solenne Mignot
Lexing Propriété Industrielle Contentieux
(1) TJ Lille, Ch. 1, 28-02-2020.
(2) CA Paris 13-6-2003 n°2001/15248, 4e ch. Sect. B Ann. Prop. Ind., 2003.275. Formules proches dans : CA Paris 16-1-2008 n°2006/18953, 4e ch. Sect. A PIBD 2008 III 192 ; Cass. com. 21-9-2004 PIBD 797 III 648.
(3) Cass com, 27-1-1998, n°95-16.916, Légifrance.