Arlésienne de la propriété industrielle, le « brevet communautaire » semble de nouveau d’actualité avec une nouvelle proposition de la Commission européenne visant à permettre aux Etats qui le souhaitent, la création d’un brevet unifié valable dans l’ensemble des Etats participants, laissant la possibilité aux autres Etats de rejoindre le système ultérieurement. Hasard du calendrier ou non, cette proposition intervient le 14 décembre 2010, à la veille du trente-cinquième anniversaire de la Convention de Luxembourg qui aurait dû être l’acte de naissance de ce fameux « brevet communautaire » qui, bien que rebaptisé « brevet de l’UE », n’a toujours pas vu le jour. Un petit rappel s’impose sur les deux systèmes de brevet coexistant actuellement en Europe.
D’une part, le système des dépôts nationaux, consistant à déposer, dans chaque pays pour lequel une protection est souhaitée, une demande de brevet. Chaque Office national des brevets procède alors à l’examen de la demande, selon la réglementation de l’Etat concerné, et octroie, le cas échéant, un titre national de protection de l’invention déposée. Si le demandeur souhaite protéger son invention dans la totalité des pays de l’Union européenne, il devra donc effectuer 27 demandes de brevets, examinées selon autant de procédures disctinctes et permettant d’obtenir, au mieux, 27 titres de propriété industrielle différents et au pire, des décisions sur la protection de l’invention différentes, voire contradictoires, selon les Offices.
D’autre part, le système européen des brevets, régi par la Convention sur le brevet européen (CBE), propose une procédure uniforme de traitement des demandes de protection auprès de l’Office européen des brevets (OEB), qui regroupe actuellement quarante Etats européens. Pour autant, ce système ne permet pas d’obtenir un titre de protection uniforme, le déposant devant ensuite faire valider la demande de brevet dans chaque pays pour lequel une protection est souhaitée impliquant, ici encore, la multiplication des formalités et coûts administratifs. Le titre octroyé demeure régi par les lois nationales de chaque Etat dans lequel le brevet est protégé.
Dans les deux cas, la multiplicité des procédures, les frais de traduction et autres formalités administratives entraînent un surcoût non négligeable, puisque la Commission européenne estime qu’à ce jour la revendication d’une protection dans quelques 13 Etats de l’Union européenne coûte 10 fois plus cher qu’un brevet américain. En outre, le fait que les brevets européens soient soumis, au cours de leur existence, à des réglementations et à la compétence de juridictions nationales distinctes est source d’incertitude quant à la validité et la valeur du titre octroyé. Cette situation conduit la plupart des entreprises et particuliers à renoncer à revendiquer une protection dans la totalité des pays de l’Union européenne pour la limiter à quelques pays très stratégiques.
La Convention de Luxembourg du 15 décembre 1975 avait pour objectif de pallier ces lacunes en créant un titre uniforme, valable dans l’ensemble des Etats membres. Elle n’est jamais entrée en vigueur et depuis trente-cinq ans, le spectre du brevet communautaire réapparaît régulièrement pour finalement achopper sur des querelles principalement linguistiques.
Dernier échec en date, le 10 novembre dernier, lors du Conseil des ministres de l’Union européenne, les gouvernements réunis en Conseil de compétitivité n’ont pas réussi à s’accorder sur la proposition de la Commission, qui visait à régler la question linguistique du « brevet de l’UE » en permettant un examen et une délivrance du brevet dans l’une des langues de l’Office européen des brevets, à savoir l’anglais, le français ou l’allemand avec une traduction des revendications du brevet publié dans les trois langues. La traduction du brevet dans une autre langue n’aurait alors été exigée qu’en cas de litige relatif au brevet au sein de l’Union européenne.
Face à cette impasse, et sur la demande de douze Etats membres parmi lesquels la France, la Commission a proposé, le 14 décembre dernier, la mise en place d’un système de « coopération renforcée » afin de permettre la création, par les Etats qui le souhaitent, d’un brevet unitaire à moindre coût. Cette proposition doit, pour prendre effet, faire l’objet d’un accord par la Parlement européen puis être adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil de ministres de l’Union européenne. La commission devrait, dans les prochains mois, détailler ces propositions pour la mise en place de ce mécanisme de coopération renforcée avec l’espoir de voir enfin naître ce brevet UE, ne serait-ce que sur un territoire restreint…
Commission européenne, proposition du 14 décembre 2010 (langue anglaise)