Un arrêt récent du 9 septembre 2020 (1) rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte des précisions sur le cumul des qualifications de faux et d’escroquerie au regard du principe ne bis in idem.
Falsification d’ordonnances
En l’espèce, les caisses d’assurance maladie et les mutuelles ont déposé plainte contre une infirmière libérale ; elles ont constaté la déclaration d’actes fictifs ou surcotés en vue d’obtenir un remboursement indu de prestations. Ces actes infirmiers fictifs ont été réalisés à l’aide de fausses prescriptions censées avoir été rédigées par des médecins.
Après avoir été condamnée en appel, la demanderesse au pourvoi arguait que :
« des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu’en déclarant Mme X… coupable de faux « constitués de fausses ordonnances et leur usage » et d’escroquerie « grâce à des manœuvres frauduleuses constituées… par des fausses ordonnances », au préjudice des mêmes caisses, la cour d’appel a violé la règle ne bis in idem. ».
La qualification des faits
La Cour de cassation a rappelé la règle selon laquelle il se déduit du principe ne bis in idem que les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.
Dans le cas de la réalisation d’un faux et d’une escroquerie, il n’y a pas d’action et d’intention coupable uniques. Ainsi l’infraction de faux serait une altération de la vérité. Elle se distingue de l’utilisation du faux, constitutif du délit d’usage de faux. En outre, l’usage du faux constitue, quant à lui, un élément des manœuvres frauduleuses de l’infraction d’escroquerie.
La Cour écarte donc ce moyen, admettant le cumul des qualifications de faux et d’escroquerie, dès lors que le faux est distinct de son usage. Il convient de noter que la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il ne viole pas le principe ne bis in idem, en admettant la possibilité du cumul entre les infractions de faux et d’escroquerie, tout en refusant celui entre l’usage du faux et l’escroquerie.
Ici, les délits de faux et d’escroquerie n’ont pas été commis par une action unique, animée par une attention coupable. Dès lors, le fait de réaliser un faux pour commettre des faits d’escroquerie justifie le cumul des qualifications en raison de la dualité d’action et d’intention.
Cet arrêt apporte donc un éclairage sur le cumul des qualifications. De sorte qu’un agent qui utilise un faux pour commettre une escroquerie peut être déclaré coupable des faits de faux et d’escroqueries mais pas d’usage de faux.
La possibilité du cumul des qualifications de faux et d’escroquerie
Un arrêt de la même chambre de 2016 (2) avait posé la règle selon laquelle les faits qui procèdent d’une même unité d’action et d’intention coupable, ne pouvaient donner lieu à deux déclarations de culpabilité pénale, au visa du principe de ne bis in idem :
« (…) des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes. »
La décision commentée a néanmoins considéré qu’il :
« (…) n’en est pas ainsi de double déclaration de culpabilité pour faux et escroquerie, faute d’action et intention coupable uniques, lorsque l’infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d’expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d’usage de faux et, le cas échéant, d’un élément des manœuvres frauduleuses de l’infraction d’escroquerie. Dans cette hypothèse, seuls les faits d’usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manœuvres frauduleuses. »
La distinction entre le faux et l’escroquerie
Les juges de la chambre criminelle ont ainsi opéré une distinction entre :
- le concours du faux et de l’escroquerie et
- l’usage de faux et l’escroquerie.
Entre le faux et l’escroquerie, on retrouve une dualité d’action et d’intention, et donc un concours unique selon l’article 132-2 du Code pénal, qui permet un cumul de qualification. En cas de faux utilisés pour commettre une escroquerie, on retrouve une dissociabilité des faits et une pluralité d’intentions afin de permettre la qualification de deux infractions distinctes non séparées d’une condamnation définitive. Cela qualifie donc un concours réel d’infraction.
La réalisation d’un faux (falsification d’ordonnances) est dissociable (matériellement et moralement) des faits d’utilisation des documents qui sont des manœuvres d’escroquerie. Le faux et l’escroquerie ont commis un concours réel, donc deux déclarations de culpabilité.
L’exclusion du cumul entre l’usage de faux et l’escroquerie
Il ressort de la position de la chambre criminelle que « seuls les faits d’usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manœuvres frauduleuses ». En conséquence, l’agent qui confectionne un faux, grâce auquel il commet une escroquerie, se rend auteur de deux agissements distincts du concours :
- la confection du faux et
- l’utilisation du faux.
L’usage du faux constitue l’un des éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie. Ils sont donc indissociables car il s’agit d’un concours idéal, plusieurs qualifications pénales pouvant résulter d’un seul acte. En conséquence, il ne peut pas y avoir deux déclarations de culpabilité distinctes.
Cet arrêt apporte donc des précisions sur les possibilités de cumul de qualifications en cas d’escroqueries réalisées avec des faux. Cependant, une question peut se poser. Un tel cumul est-il possible en cas d’utilisation d’un faux pour commettre plusieurs infractions ?
Virginie Bensoussan Brulé
Raphaël Liotier
Barthélémy Busse
Lexing Pénal numérique