Dans un arrêt du 23 février 2021, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de l’artiste contemporain Jeff Koons pour contrefaçon.
Œuvres transformatives et liberté d’expression
Certains courants d’art contemporain reposent sur l’appropriation des œuvres élaborées par d’autres artistes. Les œuvres d’origines sont modifiées ou recontextualisées de façon à générer une œuvre nouvelle. Cependant, une telle démarche reposant sur la liberté d’expression, n’est pas sans poser problème. Elle peut mettre en cause le respect des droits de l’auteur préexistant.
Le Code de la propriété intellectuelle (CPI, article L. 113-2) prévoit expressément cette possibilité sous le nom d’œuvre composite. Il s’agit de « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ».
Néanmoins, la distinction n’est pas toujours aisée entre transformation d’une œuvre préexistante et contrefaçon. C’est la question qu’a dû trancher la Cour d’appel de Paris en février dernier. Le litige portait sur une sculpture de l’artiste Jeff Koons représentant une femme et un cochon dans la neige. Il opposait l’auteur de la photographie publicitaire Naf Naf ayant inspiré la sculpture d’une part, à l’artiste américain, ainsi qu’au musée ayant exposé la sculpture litigieuse et à l’éditeur l’ayant reproduite dans un ouvrage d’autre part.
Une deuxième condamnation de Jeff Koons pour contrefaçon
L’artiste contemporain Jeff Koons est connu pour ses enchères record et les polémiques qu’il fait naître dans l’espace public ; il n’en est pas à sa première condamnation pour contrefaçon par la Cour d’appel de Paris. Fin 2019, celle-ci avait donné raison aux ayants droit du photographe Jean-François Bauret, dont l’un des clichés avait plus qu’inspiré une sculpture du plasticien.
Dans notre récente affaire, Jeff Koons insistait néanmoins sur le caractère fortement transformatif de sa sculpture. Il se prévalait également de l’exception de parodie, qui permet notamment de pasticher une œuvre à des fins humoristiques, et enfin de sa liberté d’expression.
La cour a rejeté ces trois arguments en estimant notamment que les similitudes entre les deux œuvres étaient suffisantes pour établir la contrefaçon, et que l’atteinte à la liberté d’expression de Jeff Koons que constituait cette condamnation était, en l’espèce, proportionnée.
Droit d’auteur à la française et fair use
La ligne de défense de Jeff Koons est pourtant symptomatique de l’intégration par le droit d’auteur français de certains mécanismes propres au copyright anglo-saxon. Ce dernier permet en effet de déroger aux droits de l’auteur par la reconnaissance du fair use, c’est-à-dire de l’usage loyal ou raisonnable de son œuvre par des tiers. La liberté d’expression, souvent mise en avant en droit américain, constitue l’une des raisons leur permettant de réutiliser une œuvre préexistante.
Le droit d’auteur français, lui, n’accepte qu’un nombre limité d’exceptions au droit d’auteur, énumérées par l’article L. 122-5 du CPI. Pourtant, les tribunaux admettent désormais la possibilité d’opérer une balance entre les différents droits en cause en appliquant un contrôle de proportionnalité. Un arrêt fameux de la Cour de cassation (Civ. 1, 15 mai 2015, n°13-27.391) a ainsi reconnu la recherche d’un « juste équilibre » entre les droits de l’auteur d’une part, et la liberté d’expression d’autre part.
La balance opérée dans notre affaire a néanmoins conclu, une fois de plus, à la prévalence du droit d’auteur.
La condamnation pour contrefaçon démontre que la liberté de création doit aussi composer avec les droits des tiers. N’en déplaise à ses détracteurs, la propriété littéraire et artistique continue à tenir une bonne place dans notre paysage juridique.
Marie Soulez
Raphaëlle Nordmann
Lexing Propriété intellectuelle contentieux