Economie juridique
La mise en demeure est-elle nécessaire pour obtenir des dommages et intérêts ?
Le principe de l’obligation de mise en demeure …
L’article 1146 du Code Civil dispose que des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que lorsque le débiteur a été mis en demeure de remplir son obligation, sans distinguer entre les intérêts moratoires (destinés à réparer les conséquences du retard) et les intérêts compensatoires (destinés à réparer les conséquences de l’inexécution). La mise en demeure a pour objet d’inciter le débiteur à exécuter son obligation et elle constitue ainsi le point de départ du calcul des intérêts moratoires, pour lesquels elle est donc par nature impérative. L’obligation de mise en demeure en matière de dommages et intérêts compensatoires disparaît lorsque l’exécution n’est plus possible, c’est-à-dire lorsque ce qui devait être livré ne peut plus l’être(1) (par exemple des biens périssables), ou lorsque le débiteur a fait ce qu’il s’était engagé à ne pas faire(2). La mise en demeure ne sera pas non plus exigée si les parties en ont convenu expressément (3).
Cependant, la Chambre mixte de la Cour de cassation a récemment considéré que, malgré l’absence de mise en demeure, une indemnisation compensatoire, d’un préjudice établi, pouvait être accordée à condition que les juges du fonds aient retenu que « l’inexécution du contrat était acquise » (4). Par cette décision, la chambre mixte semble donner les mêmes effets, en matière de mise en demeure, à « l’inexécution acquise » et à « l’exécution impossible » visée par l’article 1146 du Code civil. Ainsi, comme la mise en demeure perd sa fonction initiale, qui est de rappeler au débiteur qu’il doit s’exécuter, lorsque l’exécution est devenue impossible, elle perdrait son intérêt lorsque l’inexécution serait « acquise », et ne serait dès lors plus nécessaire.
L’enjeu
Cette décision pourrait avoir une incidence sur l’économie du contrat et doit attirer l’attention de toute partie contractante sur le rôle important de la mise en demeure.
Pourrait être écarté en cas « d’inexécution acquise »
Si toute inexécution constatée par le juge constituait une « inexécution acquise », dispensant le créancier de la mise en demeure en matière compensatoire, ce dernier serait à présent doté de la faculté de choisir entre la recherche de l’exécution de l’obligation, par la mise en demeure du débiteur, ou l’indemnisation ultérieure des conséquences de l’inexécution, à défaut de mise en demeure, et si l’obligation n’est pas exécutée spontanément. La mise en demeure, laissée au libre choix du créancier, perdrait alors une partie de sa fonction d’avertissement du débiteur, au risque d’alourdir les dommages effectivement subis.
En outre, le créancier qui n’aurait pas mis en demeure le débiteur, en raison de son désintérêt pour l’exécution de l’obligation, n’aurait, en cas d’exécution tardive et spontanée du débiteur, plus aucune possibilité d’obtenir le paiement des intérêts moratoires.Mais la Chambre mixte a pu entendre donner une autre signification aux termes « d’inexécution acquise », telle que « reconnue par les parties », « irrémédiable », ou encore « irréversible », et les prochaines décisions en la matière devraient encadrer la liberté d’appréciation des juges du fond sur ce point.
Le conseil
La mise en demeure vise à favoriser l’exécution du contrat de bonne foi et permet de laisser une chance à la poursuite des relations contractuelles. Elle reste donc une protection efficace, tant pour les intérêts du débiteur, que pour ceux du créancier.
(1) Art. 1146 du Code civil dernier alinéa
(2) Art. 1145 du Code civil
(3) Art. 1139 du Code civil
(4) Cass., ch. Mixte, 6/07/2007
Paru dans la JTIT n°73/2008 p.10