L’introduction, mais également l’extension du passe sanitaire soulève de nombreuses questions. Elles ont principalement trait au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles, notamment des données de santé.
L’avis du Conseil d’Etat sur l’introduction, puis sur l’extension du passe sanitaire
Craignant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales, notamment au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles (particulièrement des données de santé), une association avait saisi le Conseil d’État en vue de suspendre le passe sanitaire, dans sa première version.
A l’époque, le Conseil d’Etat avait toutefois rejeté la requête de l’association par une décision du 6 juillet 2021, estimant que le passe sanitaire ne portait aucune atteinte aux droits ou libertés susvisés.
Pour cela, il avait notamment estimé que :
- « les données d’identification sont nécessaires pour contrôler que le passe présenté est bien celui de la personne qui s’en prévaut. Au point 24 de son avis du 7 juin 2021, la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) a d’ailleurs estimé que le dispositif du passe sanitaire tel que prévu par le décret « est de nature à assurer le respect du principe de minimisation des données, en limitant strictement la divulgation d’informations privées aux personnes habilitées à procéder aux vérifications » ;
- « le risque de captation illégale des données de santé figurant sur le téléphone mobile, qui suppose que le QR code soit présenté par le propriétaire du téléphone à un individu doté d’un logiciel malveillant capable de lire les données de santé qui y figurent, semble peu élevé » ;
- « le passe sanitaire est de nature à permettre, par la limitation des flux et croisements de personnes qu’il implique, de réduire la circulation du virus de la Covid-19 dans le pays. Son usage a été restreint aux déplacements avec l’étranger, la Corse et l’outre-mer, d’une part, et à l’accès à des lieux de loisirs, d’autre part, sans que soient concernées les activités quotidiennes ou l’exercice des libertés de culte, de réunion ou de manifestation. En outre, l’usage de l’application TousAntiCovid demeure facultatif, les justificatifs pouvant être produits par voie papier ou sur tout autre support numérique, au choix de la personne concernée ».
Sur le projet de loi en cours de discussion étendant l’utilisation du passe sanitaire
Un projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire déposé par Jean Castex le 20 juillet dernier a été adopté par le Parlement selon la procédure accélérée le 25 juillet dernier (1).
Le texte prévoit d’étendre l’utilisation du passe sanitaire à partir d’août 2021. Ainsi, il serait obligatoire pour accéder à certains lieux, établissements, services ou événements où sont exercées notamment les activités suivantes :
- les activités de loisirs ;
- les activités de restauration commerciale ou de débit de boissons. Exception faite de la restauration collective, la vente à emporter de plats préparés et la restauration professionnelle routière et ferroviaire; etc.
Par un avis du 20 juillet dernier, le Conseil d’Etat a considéré que :
- « au vu des éléments communiqués par le Gouvernement ainsi que des avis du Conseil scientifique précédemment mentionnés, le fait de subordonner l’accès à des activités de loisirs, à des établissements de restauration ou de débit de boissons et à des foires et salons professionnels à la détention d’un des justificatifs requis est, en dépit du caractère très contraignant de la mesure pour les personnes et les établissements concernés, de nature à assurer une conciliation adéquate des nécessités de lutte contre l’épidémie de covid-19 avec les libertés, et en particulier la liberté d’aller et venir, la liberté d’exercer une activité professionnelle et la liberté d’entreprendre ».
Que dit la Cnil ?
Pour sa part, la Cnil a été consulté de manière facultative par le gouvernement sur ce projet de loi. Dans une décision du 21 juillet dernier, elle a signalé le fait que le passe sanitaire devait reposer sur une démonstration de son utilité au regard des objectifs poursuivis des garanties prévues par le texte.
La Cnil a insisté en particulier sur les éléments suivants :
- Proportionnalité : « le caractère gratuit des tests est un des éléments à prendre en compte puisque la possibilité d’accéder à certains lieux ou moyens de transport sans être vacciné ne sera pas du tout la même selon que les tests seront gratuits ou onéreux ».
- Lieux de déplacements concernés : « les lieux liés à certaines manifestations habituelles de libertés fondamentales ne doivent pas être concernés (cultes, liberté politique et syndicale). Je note que c’est bien le cas en l’espèce. En revanche, je constate que le dispositif est étendu à beaucoup de lieux touchant la vie quotidienne alors qu’une telle exclusion permettait de limiter les atteintes aux droits des personnes ».
- Concernant certaines catégories de personnes : « une telle divulgation de données de santé à l’employeur pose des questions en matière de respect de la vie privée des salariés, d’une part, et, entraîne des risques en matière de protection des données à caractère personnel, d’autre part. Sur ce point, je constate que le projet de loi prévoit que les salariés peuvent autoriser leur employeur à conserver le « justificatif de statut vaccinal » afin probablement d’éviter des contrôles quotidiens à l’entrée des locaux professionnels. Il me semble nécessaire de resserrer cette rédaction afin de s’assurer que l’employeur ne puisse conserver, après vérification du justificatif, que l’information relative au statut vaccinal de ces employés et non les justificatifs, qui révèlent davantage d’informations ».
- Sur les modalités de contrôle : « l’extension envisagée du passe sanitaire va avoir pour conséquence de multiplier de façon considérable les contrôles d’identité et de données de santé, déployés chaque jour sur l’ensemble du territoire ».
A suivre…
On le voit, l’utilisation du passe sanitaire pose des problématiques diverses touchant au droit à la vie privée, au droit de protection des données à caractère personnel et encore à d’autres libertés et droits fondamentaux, tels que la liberté d’aller et venir.
La « petite loi » devra encore faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel avant sa promulgation et son application dès le début du mois d’août 2021.
Isabelle Chivoret
Lexing Santé numérique
(1) Cf. notre Post publié le 2 août 2021.