La qualité d’inventeur reconnue à une intelligence artificielle

qualité d’inventeurLa question de la reconnaissance de la qualité d’inventeur à une IA connaît des avancées significatives en Afrique du Sud.

Aujourd’hui omniprésente, l’intelligence artificielle fait l’objet de très nombreuses applications et prend une part déterminante dans de nombreux domaines d’activité conduisant, peu à peu, à légiférer spécifiquement sur les problématiques afférentes. Ainsi, la Commission européenne a récemment présenté son projet de Règlement européen pour l’harmonisation des législations en matière d’intelligence artificielle mettant l’accent sur la nécessité d’encadrer les systèmes d’IA en fonction des risques qu’ils représentent (1).

Dans le domaine de la propriété intellectuelle, le rapport 2019 de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) sur les tendances technologiques relatif à l’intelligence artificielle met en exergue une augmentation significative du nombre de brevets déposés dans le domaine de l’intelligence artificielle durant les dix dernières années.

Mais surtout, l’intelligence artificielle, de plus en plus autonome, occupe une place grandissante dans les domaines de la création et de la recherche-développement et est susceptible d’avoir un impact économique significatif sur l’innovation.

La protection des inventions réalisées par des systèmes d’intelligences artificielles

De ce fait, la protection des inventions réalisées par des systèmes d’intelligences artificielles soulève de nombreuses questions, au sein de l’Union européenne comme à l’étranger.

A cet égard, l’OMPI, faisant le constat de la progression du rôle de l’intelligence artificielle dans le processus d’invention a pu dresser une liste des questions pertinentes soulevées par cette révolution technologique. Au premier rang figure la question de savoir si l’inventeur au sens du droit des brevets doit :

  • nécessairement s’entendre d’un être humain ou
  • s’il peut être envisagé qu’une application d’intelligence artificielle soit mentionnée comme tel ?

C’est dans ce contexte que le président et directeur général de la société Imagination Engines, Stephen Thaler a mis au point un système d’intelligence artificielle dénommé “Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience” (DABUS). Ce système se présente comme un « essaim de nombreux réseaux neuronaux déconnectés, chacun contenant des mémoires interreliées, peut-être de nature linguistique, visuelle ou auditive ».

DABUS a réalisé seul deux inventions :

  • un récipient alimentaire en plastique reposant sur la géométrie fractale et
  • un dispositif d’alerte basé sur un signal lumineux (ou « flamme neuronale ») se déclenchant en cas d’urgence.

En 2018, Stephen Thaler, accompagné d’une équipe de juristes spécialisés réunis sous le nom d’“Artificial Inventor Project, a déposé plusieurs demandes de brevet à travers le monde.

Refus préalables en Europe de reconnaissance de la qualité d’inventeur à une IA

Les demandes de brevet déposées par Stephen Thaler ont tout d’abord été rejetées par plusieurs offices de propriété intellectuelle.

Elles ont ainsi été rejetées par l’Office européen des brevets en janvier 2020. Celui-ci a considéré que l’inventeur ne peut être qu’une personne physique, en raison :

  • d’une part, des informations exigées par la Convention sur le brevet européen pour la désignation de l’inventeur : nom, prénoms, adresse ;
  • d’autre part, de la nécessité que l’inventeur soit doté d’une personnalité juridique lui permettant d’exercer les droits en découlant.

Cette solution, rendue par l’OEB, apparaît au demeurant conforme à la position actuelle du Parlement européen. Dans le cadre de sa Résolution du 20 octobre 2020 sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle, après avoir rappelé que si l’IA repose sur des algorithmes non brevetables en tant que tels, ces méthodes mathématiques sont protégeables dès lors qu’elles sont utilisées dans le cadre d’un système d’IA qui contribue à produire un effet technique supplémentaire.

Pour autant, le Parlement « insiste sur la différence entre les créations humaines assistées par l’IA et les créations générées par l’IA » ; lesquelles soulèvent des difficultés notamment en ce qui concerne la qualité d’inventeur et estime « qu’il ne serait pas opportun de vouloir doter les technologies de l’IA de la personnalité juridique ».

Enfin, adoptant un raisonnement similaire à l’Office européen des brevets, la Haute Cour de justice du Royaume-Uni a rejeté les demandes de brevet en septembre 2020.

Refus de la reconnaissance de la qualité d’inventeur par l’USPTO

Dans la même ligne, en juillet 2020, l’United States Patent and Trademark Office (USPTO) a rejeté une demande de brevet dans la mesure où :

  • l’U.S. Code désigne l’inventeur comme étant une personne physique (2) ;
  • la jurisprudence américaine et les directives d’examen de l’USPTO définissent la conception de l’invention comme un « acte mental » ne pouvant être réalisé que par un personne physique (à l’exclusion des systèmes d’intelligence artificielle, mais également, comme déjà jugé par les juridictions américaines, des États ou des personnes morales).

La demande de brevet qui n’identifie pas d’inventeur « personne physique », n’est donc pas conforme aux dispositions de l’U.S. Code (3).

Vers une reconnaissance de la qualité d’inventeur par la Cour fédérale Sud africaine

Cependant, la protection des inventions réalisées par des intelligences artificielles a récemment connu une avancée significative en Afrique du Sud.

En effet, en juillet 2021, l’office des brevets sud-africain a été le premier à délivrer un brevet sur les inventions réalisées par DABUS. L’inventeur désigné :  DABUS, The invention was autonomously generated by an artificial intelligence .

Selon Kirk M. Hartung, avocat au sein du cabinet américain McKee, Voorhees & Sease, PLC cité par le site internet spécialisé www.ipwatchdog.com, une telle avancée doit toutefois être relativisée dans la mesure où :

  • la législation sud-africaine ne définit pas la notion d’inventeur et que
  • l’office ne procède à aucun examen de fond de la demande de brevet.

L’avancée apparaît plus significative en Australie, où la Cour fédérale a récemment annulé la décision de l’office australien des brevets de rejeter la demande de brevet DABUS.

Une reconnaissance encore fragile…

L’examinateur avait considéré qu’un système d’intelligence artificielle ne pouvait être un inventeur, au regard de l’article 15 §1 de la Loi sur les brevets de 1990 qui prévoit qu’un brevet peut uniquement être délivré à une personne (inventeur, ayant droit ou cessionnaire des droits sur l’invention) (4).

L’examinateur avait ensuite conclu que la demande de brevet qui ne précise pas le nom de l’inventeur personne physique, n’est donc pas conforme aux dispositions du Règlement sur les brevets de 1991 (5).

Le déposant, Stephen Thaler, a donc formé un recours devant la Cour fédérale. Celle-ci annule la décision de l’office des brevets australien considérant :

  • que l’article 15, paragraphe 1, de la Loi sur les brevets de 1990 ne définit pas l’inventeur mais uniquement les personnes qui peuvent demander et se voir octroyer un brevet ; la question est donc de savoir si la demande de brevet déposée par Stephen Thaler est valide, autrement dit si ce dernier est en droit de demander un brevet sur l’invention ;
  • l’article 3.2C(2)(aa) du Règlement sur les brevets de 1991 n’exige pas expressément le nom d’un inventeur humain, personne physique ; par conséquent, rien ne s’oppose à la désignation d’une intelligence artificielle en qualité d’inventeur.

Elle relève toutefois qu’un inventeur non humain ne peut être demandeur ni se voir octroyer un brevet.

En conséquence, la Cour fédérale a renvoyé l’affaire devant l’office des brevets australien pour réexamen de la demande de brevet.

Affaire à suivre…

Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété Industrielle

Notes

(1) Cf. Alain Bensoussan, Jérémy Bensoussan et Marie Schwartz, Intelligence artificielle : nouveau projet de Règlement (I), 17-6-2021 et  Intelligence artificielle : nouveau projet de Règlement (II), 26-6-2021.
(2) U.S. Code Title 35, art. 100 Definitions ; U.S. Code Title 35, art. 101 Inventions patentable ; U.S. Code Title 35, art. 102 Conditions for patentability – novelty ; U.S. Code Title 35, art. 115 Inventor’s oath or declaration.
(3) U.S. Code Title 35, art. 115 Inventor’s oath or declaration.
(4) Patents Act 1990, article 15 : Who may be granted a patent ?
(5) Patents Regulations 1991, art. 3.2C : (1) This regulation applies to a PCT application if the applicant complied with the requirements of subsection 29A(5) of the Act. (2) The applicant must: (a) provide: (…) (aa) provide the name of the inventor of the invention to which the application relates. (…)

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