L’adoption, le 2 juillet dernier, de la loi fédérale russe 345-FZ avait quelque peu sonné les producteurs de Champagne. En effet, ces derniers sont désormais contraints d’utiliser la désignation générique de « vins mousseux », l’appellation « Shampanskoe » étant réservée aux vins russes.
Alors que la question semble aujourd’hui entre les mains diplomatiques, le CIVC vient de remporter une nouvelle victoire dans la protection de l’appellation « Champagne » au sein de l’Union européenne.
En effet, dans son arrêt rendu le 9 septembre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) renforce et précise les contours de la protection des Appellations d’origine protégées (AOP) et, plus particulièrement, de l’AOP « Champagne ».
<Champanillo> versus <Champagne>, un conflit de longue date
Depuis plusieurs années, la société de droit espagnol GB, exploitante de bars à tapas, utilise le terme <Champanillo> dans le cadre de ses activités.
Par deux fois en 2011 et 2015, le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne français (CIVC) s’est opposé avec succès à l’adoption de ce signe à titre de marque devant l’Office espagnol des brevets et des marques (OEPM).
La société GB a cessé l’exploitation de ce signe pour désigner une boisson mousseuse. Elle n’en a pas moins poursuivi l’usage à titre de nom commercial, d’enseigne et de nom de domaine.
Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne français (CIVC) considérant que ces utilisations constituaient une violation de l’AOP « Champagne », a saisi les juridictions espagnoles afin de faire cesser ces agissements.
En première instance, le tribunal de commerce a rejeté les demandes du CIVC estimant que le signe <Champanillo>, utilisé pour exploiter des services de restauration et non pour des boissons alcooliques telles que protégées par l’appellation <Champagne>, ne portait pas atteinte à l’AOP.
La demande d’interprétation des dispositions relatives à la protection des appellations d’origine protégées
Saisie de l’affaire, la juridiction d’appel décide de surseoir à statuer. Elle pose à la CJUE trois questions préjudicielles concernant l’interprétation de l’article 103 §2 a) et b) du Règlement (UE) n°1308/2013 relatif à organisation commune des marchés des produits agricoles.
Celui-ci dispose : « 2. Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :
a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :
i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée; ou
ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique;
b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite, transcrite, translittérée ou accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », « goût », « manière » ou d’une expression similaire ; (…) ».
Distinction entre reprise à l’identique et usage de signes similaires à l’AOP
En premier lieu, la CJUE rappelle qu’il convient d’opérer une distinction entre les situations visées l’article 103 §2.
En effet, l’article 103 §2 sous a) entend interdire toute utilisation directe ou indirecte de la dénomination protégée. Cela implique une identité ou, à tout le moins une forte similarité entre l’AOP et le signe contesté. Tel n’est pas le cas en l’espèce, le signe <champanillo> se distinguant de l’AOP <Champagne> tant visuellement que phonétiquement.
L’affaire s’apprécie non au regard de l’utilisation directe ou indirecte de la dénomination protégée mais des cas d’usurpation, d’imitation ou d’évocation de l’AOP (art. 103 §2 b)).
Protection de l’AOP à l’encontre d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services
L’article 103 paragraphe 2 b) du Règlement (UE) n°1308/2013 dispose qu’une AOP est protégée contre « toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ».
Dès lors, selon la CJUE, cette disposition s’interprète en ce sens « qu’il protège les appellations d’origine protégées (AOP) à l’égard d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services ».
La protection accordée est donc une protection très large. Elle a vocation à s’étendre à toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits visés par l’AOP. L’atteinte à la réputation de l’AOP « Champagne » peut concerner non seulement un produit, mais également un service, tel que la restauration.
Appréciation de la notion d’évocation au regard du consommateur européen moyen
En outre, la notion d’« évocation », au sens de l’article 103 paragraphe 2 b) du Règlement « ne requiert pas que le produit couvert par l’AOP et le produit ou le service couvert par la dénomination contestée soient identiques ou similaires ».
Ce faisant, le produit couvert par l’AOP bénéficient de la protection contre des agissements se rapportant à des produits ou services ; et ce, indépendamment de leur degré de similitude. Il peut ainsi même être protégé en présence de produits ou services différents. Il suffit que le consommateur européen moyen établit un « lien suffisamment direct et univoque » entre la dénomination contestée et l’AOP.
Selon la CJUE, ce lien peut résulter de la simple « proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination ».
En conclusion, les AOP bénéficient d’une protection très large à l’encontre de produits ou de services, quel que soit leur degré de similitude, dès lors que :
- l’utilisation de la dénomination contestée peut profiter indûment de la réputation associée à l’AOP ; et que
- le public est susceptible d’établir un lien suffisamment direct et équivoque entre la dénomination contestée à l’AOP.
Indifférence de l’existence ou non d’une situation de concurrence déloyale
Enfin, la Cour rappelle que le Règlement (UE) instaure, à l’égard des AOP, une protection spécifique propre. La constatation d’agissements interdits au sens de l’article 103 §2 b) n’implique donc pas la constatation d’actes de concurrence déloyale.
Cette décision n’est pas sans rappeler la décision rendue le 17 avril 2020 par la Chambre de recours de l’EUIPO. Par cette décision, l’EUIPO avait rejeté la demande de marque de l’Union européenne CHAMPAGNOLA déposée pour des produits et services de boulangerie, retenant que « Champagnola évoqu[ait] assez clairement le Champagne » .
Si la protection de l’AOP <Champagne> demeure un sujet diplomatiquement sensible, force est de constater que celle-ci n’a de cesse de se renforcer au sein de l’Union européenne.
Virginie Brunot,
Solenne Mignot
Lexing Département propriété industrielle contentieux
(1) CJUE 09-09-2021 aff. C-783/19, CCICV
(2) EUIPO, 4e ch. de recours, R-1132/2019-4, 17-4-2020.