Economie juridique
Evaluation des dommages liés à la consultation et au téléchargement de films sur internet
L’accès gratuit au film maintenu sept mois après la notification
Le producteur et le distributeur d’un film ont constaté, sur le site internet Google Vidéo France, la présence de liens hypertextes permettant un accès gratuit à ce film, en streaming et en téléchargement. L’éditeur a alors enjoint aux sociétés Google Inc et Google France, éditrices du site, de retirer les liens donnant accès au contenu litigieux. Quelques jours après, les sociétés Google ont informé l’éditeur de la suppression des liens en cause de l’index de leur site. Cependant, plusieurs constats établissent que le film est resté accessible sur le site Google Video France après l’annonce de la suppression des liens, pendant une période de sept mois (octobre 2006 à mai 2007). Le producteur et le distributeur ont saisi le Tribunal de Commerce de Paris en invoquant les actes de contrefaçon et de parasitisme des sociétés Google et pour demander réparation de leurs préjudices. Le distributeur demande une somme de 600.000 € au titre du préjudice patrimonial subi du fait de l’exploitation contrefaisante du film et le producteur, 250.000 € au titre du préjudice résultant des actes de parasitisme. Ils demandent également une somme de 100.000 € chacun au titre de leur préjudice professionnel et d’image et la publication de la décision dans différents supports de leur choix, pour un montant maximum de 35.000 €. Deux syndicats professionnels interviennent volontairement dans la procédure pour demander 30.000 € chacun en réparation de l’atteinte aux intérêts collectifs de leur profession.
L’enjeu
Le préjudice patrimonial lié à l’exploitation contrefaisante ne pouvait être chiffré précisément sans connaître le nombre de consultations ou téléchargements du film générés par les liens en cause. Celui-ci aurait en effet permis de chiffrer la masse contrefaisante. Or, la décision ne précise pas si il était établi.
Les préjudices du producteur et du distributeur évalués globalement
Constatant que les internautes agissent sous leur propre responsabilité sur le site Google Video, sans intervention des sociétés Google concernant le choix et la présentation des contenus déposés et sans contrôle a priori de ceux-ci, le Tribunal (1) leur reconnaît la qualité d’hébergeur au sens de la Lcen (2) et leur applique le régime de responsabilité limitée correspondant. La décision écarte donc la responsabilité des sociétés Google pour la période antérieure à la demande de retrait des liens formulée par l’éditeur du film, mais considère qu’elles se sont rendues coupables d’actes de contrefaçon pour ne pas avoir rendu l’accès au film impossible à compter de cette date. Le préjudice patrimonial invoqué par le distributeur (600.000 €), fondé sur une évaluation des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre, dont le détail n’est pas précisé, est considéré comme largement surévalué, au motif que tous les internautes ayant visionné ou téléchargé le film gratuitement n’auraient pas accepté de payer pour le faire. La décision n’indique pas si le nombre de connexions aux liens en cause ou de consultations du film est établi. Compte tenu de la durée pendant laquelle le film est resté accessible et sans autre précision, la décision chiffre le préjudice du producteur et du distributeur à la somme globale de 150.000 €, à charge pour eux de se répartir cette indemnisation. La demande formulée par le producteur au titre du parasitisme est rejetée, de même que l’indemnisation du préjudice professionnel et d’image. Le préjudice des deux syndicats professionnels est fixé à 1.000 € et seule la publication de la décision sur le site Google Video est ordonnée.
Les conseils
Dans cette nouvelle affaire impliquant le moteur de recherche, la mise en œuvre des mesures de la loi de lutte contre la contrefaçon du 29 octobre 2007, destinées à faciliter l’accès de la victime aux informations détenues par le défendeur, en l’espèce les statistiques de consultation du film à partir de liens, auraient certainement permis d’évaluer de manière plus précise le montant des dommages subis.
(1) TC Paris 8e ch. 20 février 2008
(2) Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Paru dans la JTIT n°75/2008 p.10