Dans un arrêt du 6 octobre 2021, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé que l’acquéreur légitime d’un programme d’ordinateur est en droit de procéder à la décompilation de tout ou partie de celui-ci afin de corriger des erreurs affectant le bon fonctionnement du logiciel.
Le contexte
Une société de droit belge, a été contactée par un établissement public pour le développement d’un logiciel spécifique. Cette prestation comprenait partiellement la mise à disposition d’une application déjà existante. L’établissement public détient une licence d’utilisation sur les applications développées par la société.
L’établissement public a rencontré des problèmes de fonctionnement affectant certaines applications utilisant celle déjà existante. Il a procédé, sans autorisation de la société, à la décompilation du logiciel afin de corriger les erreurs. S’apercevant de ces actes, la société a considéré qu’ils portaient atteinte à son droit d’auteur.
En première instance, le tribunal de Bruxelles a rejeté la demande de la société. Cette dernière a interjeté appel en soutenant que l’établissement public s’était livré de manière illégale à la décompilation de l’application existante qui ne pouvait être réalisée qu’en vertu d’une autorisation de l’auteur ou à des fins d’interopérabilité. A l’inverse, l’établissement public soutenait que l’argument selon lequel il était en droit de procéder à une décompilation dans le but de corriger certaines erreurs de conception affectant l’application existante qui rendaient impossible une utilisation de celle-ci d’une manière conforme à sa disposition en vertu de l’article 6 de la loi relative à la répression de la contrefaçon et de la piraterie de droits de propriété intellectuelle (« LPO »).
La Cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et a posé à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 5, paragraphe 1, de la [directive 91/250] doit-il être interprété comme permettant à l’acquéreur légitime d’un programme d’ordinateur de décompiler tout ou partie de celui-ci lorsque cette décompilation est nécessaire pour lui permettre de corriger des erreurs affectant le fonctionnement dudit programme, y compris quand la correction consiste à désactiver une fonction qui affecte le bon fonctionnement de l’application dont fait partie ce programme ?
2) Dans l’affirmative, doit-il en outre être satisfait aux conditions de l’article 6 de la directive ou à d’autres conditions ? »
La décompilation d’un logiciel pour corriger des erreurs comprises dans les exceptions de l’article 5
Les juges de la CJUE ont procédé à une analyse des articles 4, 5 et 6 de la directive 91/250 afin de répondre à ces questions, articles transposés quasiment à l’identique en droit belge.
La cour de justice rappelle que la décompilation n’est pas un droit expressément cité à l’article 4 de la directive 91/250 intitulé « Actes soumis à restrictions ». Mais elle définit la décompilation comme « une opération de transformation de la forme du code d’un programme impliquant une reproduction » (1).
La décompilation ainsi définie est un acte impliquant une reproduction visée à l’article 4 de la directive dont les exceptions sont listées à l’article 5. Or en vertu de ce dernier, ne sont pas soumis à l’autorisation de l’auteur tous les actes énumérés à l’article 4 lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.
La décompilation d’un logiciel pour corriger des erreurs non soumises aux conditions relatives à l’interopérabilité
Selon la CJUE la possibilité de procéder à la décompilation d’un logiciel afin de corriger les erreurs n’est pas remise en cause par l’article 6 de la directive 91/250 relatif à l’interopérabilité.
En effet, selon les juges l’article 5 et l’article 6 n’aurait pas la même finalité : « l’article 6 de la directive 91/250 concerne les actes nécessaires pour assurer l’interopérabilité de programmes créées indépendamment, l’article 5, paragraphe 1, de celle-ci vise à permettre à l’acquéreur légitime d’un programme d’utiliser ce dernier d’une manière conforme à sa destination » (2).
Par ailleurs, les juges expriment le fait qu’il ne peut être déduit de l’article 6 de la directive 91/250 que le législateur de l’Union ait eu l’intention d’exclure toute possibilité de procéder à la reproduction du code d’un programme d’ordinateur (3).
Dès lors la décompilation d’un logiciel pour corriger des erreurs n’est pas soumise aux conditions relatives à l’interopérabilité puisque ces exigences ne sont pas applicables aux exceptions prévues à l’article 5.
Ainsi, afin de déterminer si la décompilation d’un logiciel est possible pour corriger des erreurs, il faut vérifier uniquement les exigences de l’articles 5 :
- l’acte de décompilation doit être nécessaire pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme concerné d’une manière conforme à sa destination et,
- le code source ne peut être accessible à l’acquéreur du programme concerné (4).
En l’absence de stipulations contractuelles spécifiques entre l’acquéreur légitime et l’auteur du logiciel, le premier peut procéder aux actes énumérés à l’article 4 dont notamment la reproduction du code pour procéder à la correction d’erreur.
La position de la CJUE
A la suite de ce raisonnement, la Cour de justice de l’Union européenne dit pour droit que :
« L’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doit être interprété en ce sens que l’acquéreur légitime d’un programme d’ordinateur est en droit de procéder à la décompilation de tout ou partie de celui-ci afin de corriger des erreurs affectant le fonctionnement de ce programme, y compris quand la correction consiste à désactiver une fonction qui affecte le bon fonctionnement de l’application dont fait partie ledit programme.
L’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 doit être interprété en ce sens que l’acquéreur légitime d’un programme d’ordinateur qui souhaite procéder à la décompilation de ce programme dans le but de corriger des erreurs affectant le fonctionnement de celui-ci n’est pas tenu de satisfaire aux exigences prévues à l’article 6 de cette directive. Cependant, cet acquéreur n’est en droit de procéder à une telle décompilation que dans la mesure nécessaire à cette correction et dans le respect, le cas échéant, des conditions prévues contractuellement avec le titulaire du droit d’auteur sur ledit programme ».
Cet arrêt questionne sur l’ouverture de la décompilation pour la mise en œuvre de l’article 5, laquelle décompilation semblait être cantonnée à l’article 6 de la directive 91/250 imposant des conditions plus strictes que l’article 5 (5). Une autre interrogation peut être soulevée sur le fait que ni les conclusions de l’avocat général, ni l’arrêt de la CJUE n’évoquent le fait que « décompiler un programme sans autorisation pour corriger des erreurs consiste pour l’utilisateur à obtenir un accès au code source (compréhensible par le technicien) » (6).
Cet accès non voulu pourrait méconnaître le « secret » du code source que souhaitait maintenir le titulaire des droits d’auteur ou pourrait constituer une violation de son droit de divulgation du code source.
Marie Soulez
Ema Bergonier
Lexing Département Propriété Intellectuelle Contentieux
Notes
(1) CJUE, 6 10 2021, aff. C-13/20, paragraphe 38.
(2) CJUE, 6 10 2021, aff. C-13/20, paragraphe 49.
(3) CJUE, 6 10 2021, aff. C-13/20, paragraphe 48.
(4) CJUE, 6 10 2021, aff. C-13/20, paragraphes 61 et 63.
(5) « N’y aurait-il pas quelque chose de surprenant à tolérer implicitement dans l’article 5 une décompilation à des conditions moins sévères que celles prévues explicitement à l’article 6 », M. Cock, Dans quels cas l’utilisateur peut-il décompiler un logiciel ?, Droit et Technologie, 23 janvier 2020
(6) Droit du numérique, J. Larrieu, Recueil Dalloz 2021 p.2152, février 2021 – octobre 2021.