Dans un arrêt du 16 septembre 2021, la Cour d’appel de Paris juge qu’un litige opposant des universitaires dans le cadre de leurs fonctions relève de la compétence du juge administratif.
En effet, le Directeur de Recherche du CNRS avait saisi le tribunal de police de Paris pour diffamation non publique. L’affaire concernait un mail envoyé par dix collègues chercheurs à plusieurs membres du CNU, Conseil national des universités. Si en première instance l’exception d’incompétence avait été rejetée, cela n’a pas été le cas en deuxième instance.
Litige entre fonctionnaire et compétence du juge administratif
La Cour d’appel de Paris commence par rappeler que l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire prévoit que : « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».
De plus, la Cour de cassation rappelle régulièrement le principe qui délimite les compétences des juges judiciaire et administratif. Les premiers sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public du fait de ses agents. Elle énonce également que l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables d’un acte délictueux que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions.
Dans cette affaire, les premiers juges ont rejeté l’exception d’incompétence soulevée par les prévenus au motif que le mail avait été envoyé dans un cadre privé et ne touchait pas à l’exercice de leur travail. Dès lors, ils ne sauraient se prévaloir de la protection de qualité de fonctionnaire qui relève de la compétence du juge administratif.
Cependant, la Cour d’appel de Paris en décide autrement et déclare recevable l’exception d’incompétence. Les prévenus sont tous des agents publics ayant agit dans l’exercice de leurs fonctions au Conseil national des universités. En effet, bien que le message électronique litigieux ait été transmis pendant les vacances scolaires, son contenu soulignait bien le caractère professionnel des échanges et touchait directement à l’exercice de leur travail. La cour en appelle donc à la compétence du juge administratif.
En outre, le Tribunal des Conflits, dans une décision du 06 juillet 2020, rappelle que « en vertu des règles de répartition des compétences juridictionnelles dont la mise en œuvre dépend du statut de droit public ou de droit privé des agents en cause, le juge administratif est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la situation individuelle des agents de droit public et le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des litiges de même nature intéressant les agents de droit privé ».
Le cadre légal de la diffamation non publique
Le directeur de recherche du CNRS avait tenu en janvier 2018 une conférence intitulée « Regard scientifique sur la psychanalyse ».
En janvier 2019, un collège chercheur a diffusé un mail cosigné par l’ensemble des prévenus à plusieurs membres du Conseil national des université, relatif au contenu de cette conférence. Ce mail indique :
« C’est pourquoi les détracteurs de Freud, dont notre collègue fait clairement partie comme il l‘a montré dans une vidéo insultante pour la psychanalyse, n’emploient en général pas d’arguments scientifiques. Dans cette vidéo, il utilise sa « figure d’autorité » pour se moquer de la clinique freudienne à la manière d’autres détracteurs qui accusent Freud de falsification alors que ce dernier a justement anonymisé ses cas. […] Nous avons relevé, toujours dans cette vidéo, les comportements anéthiques et antiodéontologiques de M. M ».
Pour l’intéressé, cela constitue une diffamation non publique qui porte atteinte à son honneur et sa réputation. Il déclare en effet « avoir une éthique et une déontologie irréprochable ».
Que cette infraction relève de la compétence du juge administratif ou du juge judiciaire :
- La diffamation est une allégation, ou l’imputation d’un fait, qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne.
- La diffamation peut être raciste, sexiste, homophobe.
- Elle relève d’une procédure spécifique permettant de protéger la liberté d’expression [1].
Plus spécifiquement, la diffamation non publique concerne les allégations prononcées :
- par son auteur à la victime sans qu’aucune tierce personne ne soit présente
- ou devant un cercle restreint de personnes partageant les mêmes intérêts, que la victime soit présente ou non. Les personnes témoins ont toutes un même lien entre elles. Ce lien peut être professionnel, personnel, etc.
L’application au cas d’espèce
En l’espèce, les destinataires du message électronique litigieux étaient composés de quelques membres du Conseil national des universités. Cela constituait donc un cercle restreint de personnes. De plus, les personnes concernées sont toutes des universitaires et fonctionnaires, de sorte qu’ils partagent entre eux des intérêts communs.
L’article R.621-1 du Code pénal punit la diffamation non publique de l’amende prévue pour les contraventions de 1re classe, à savoir de 38 € maximum.
En conclusion, pour déterminer la compétence entre l’ordre judiciaire et administratif, le fait qu’il s’agit de fonctionnaires ne suffit pas. Il s’agit également de vérifier si le litige relève de l’exercice des fonctions des intéressés ou du cadre privé.
Enfin, si la diffamation non publique semble caractérisée en l’espèce, le dernier mot appartiendra au juge administratif seul compétent.
Virginie Bensoussan-Brulé
Raphaël Liotier
Marion Tête-Simler (étudiante en droit)
Lexing Contentieux numérique
[1] Ministre chargé de la justice, « Diffamation », Service Public, 01 octobre 2020.