À travers le monde, la saga Dabus se poursuit et l’absence de personnalité juridique de l’IA demeure un obstacle juridique majeur à la reconnaissance de sa qualité d’inventeur.
Ainsi, c’est au tour de l’office néo-zélandais des brevets (IPONZ) de se prononcer sur la brevetabilité d’une IA. Par décision du 31 janvier dernier, celui-ci se démarque de la position australienne pour, à son tour, dénier la possibilité de délivrer un brevet à une intelligence artificielle.
Pour mémoire, Dabus (“Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience”) est une IA mise au point par le président et directeur général de la société Imagination Engines, Stephen Thaler. Elle se présente comme un « essaim de nombreux réseaux neuronaux déconnectés, chacun contenant des mémoires interreliées, peut-être de nature linguistique, visuelle ou auditive ».
L’IA DABUS a réalisé, seule, deux inventions :
- un récipient alimentaire en plastique reposant sur la géométrie fractale, et
- un dispositif d’alerte basé sur un signal lumineux (ou « flamme neuronale ») se déclenchant en cas d’urgence.
En 2018, Stephen Thaler, accompagné d’une équipe de juristes spécialisés réunis sous le nom d’“Artificial Inventor Project”, a déposé des demandes de brevet PCT désignant de nombreux pays à travers le monde.
Qualité d’inventeur d’une IA : refus confirmé aux États-Unis
Aux États-Unis, en juillet 2020, l’United States Patent and Trademark Office (USPTO) a rejeté une demande de brevet dans la mesure où :
- l’U.S. Code désigne l’inventeur comme étant une personne physique ;
- la jurisprudence américaine et les directives d’examen de l’USPTO définissent la conception de l’invention comme un « acte mental » ne pouvant être réalisé que par un personne physique (à l’exclusion des systèmes d’intelligence artificielle, mais également, comme déjà jugé par les juridictions américaines, des États ou des personnes morales).
La demande de brevet qui n’identifiait pas d’inventeur « personne physique », n’était donc pas, selon l’USPTO, conforme aux dispositions de l’U.S. Code.
Le 2 septembre 2021, le Tribunal fédéral du District Est de l’Etat de Virginie (United States District Court for the Eastern of Virginia) a rejeté le recours formé par le déposant, Stephen Thaler.
Aux termes d’une décision longuement motivée, le Tribunal considère en effet que l’U.S. Code fait uniquement référence à l’inventeur comme étant un « individu », c’est-à-dire une personne physique (1).
Par ailleurs, l’inventeur doit déposer un serment ou une déclaration accompagnant la demande de brevet attestant qu’il est l’inventeur de l’invention dont la protection est demandée (2).
Le déposant de la demande de brevet peut déposer lui-même cette déclaration dans des cas précis :
- lorsque l’inventeur se trouve dans l’incapacité de la déposer, pour l’une de ces raisons :
- décès,
- incapacité,
- injoignable malgré les diligences entreprises,
- soit enfin qu’il a refusé de déposer cette déclaration bien qu’il soit dans l’obligation de céder l’invention au déposant (3).
L’Europe également défend cette position.
Qualité d’inventeur d’une IA : refus confirmé en Europe
Les demandes de brevet déposées par Stephen Thaler ont été rejetées par l’Office européen des brevets en janvier 2020. Celui-ci a considéré que l’inventeur ne pouvait être qu’une personne physique, faute pour l’IA :
- de pouvoir fournir les informations légales (nom, prénoms, adresse de l’inventeur) ;
- d’être dotée d’une personnalité juridique lui permettant d’exercer les droits en découlant.
En mars 2020, Stephen Thaler a donc formé deux recours sous les numéros J-8/20 et J-9/20.
Le 21 décembre 2021, la chambre de recours de l’OEB rejette les recours sur le fondement des articles 60(1) et 81 de la Convention sur le brevet européen.
Elle rappelle que la demande de brevet européen doit désigner l’inventeur. Il s’agit d’une exigence formelle, appréciée indépendamment de l’examen de fond de la demande de brevet et de la brevetabilité de l’invention dont la protection est demandée.
Par ailleurs, elle estime que seule une personne physique peut être inventeur au sens de la Convention sur le brevet européen.
Les demandes de brevet DABUS ne sont donc pas conformes à l’article 81 de la Convention dès lors :
- qu’elles désignent en qualité d’inventeur, non pas une personne physique mais une IA ;
- qu’en outre, l’IA DABUS étant dépourvue de personnalité juridique, ne pouvait céder ses droits sur l’invention au déposant, Stephen Thaler ;
Par conséquent, la désignation de l’inventeur ne permet pas non plus de justifier de l’acquisition par le déposant du droit au brevet européen.
La chambre de recours rejette également l’argument selon lequel la demande de brevet ne désigne aucune personne en qualité d’inventeur mais indique seulement que Stephen Thaler aurait « le droit au brevet européen en vertu du fait qu’elle était propriétaire et créatrice » de l’IA DABUS.
Qualité d’inventeur d’une IA : la problématique du droit au brevet
L’aptitude d’une IA à réaliser une invention, potentiellement brevetable, n’apparaît pas contestée. Cependant, la qualité d’inventeur d’une IA se heurte à un obstacle juridique majeur tenant à son absence de personnalité juridique.
En effet, le droit au titre appartient – sauf exceptions – à l’inventeur. Sa désignation n’est donc pas neutre. Elle emporte des conséquences juridiques quant à l’attribution des droits sur l’invention.
Cette absence de personnalité juridique empêche l’intelligence artificielle de :
- déposer une demande de brevet en son nom ;
- détenir de droits sur l’invention réalisée et a fortiori, céder de tels droits à un tiers pour lui permettre de déposer une demande de brevet sur cette invention.
En l’absence de règle d’attribution du droit au brevet concernant l’invention réalisée par une IA, le seul fait pour Stephen Thaler d’être le créateur et le propriétaire de l’IA DABUS, ne lui permet pas de revendiquer de droit sur les inventions réalisées par celle-ci.
Les demandes de brevet DABUS ont toutefois connu des avancées significatives dans certains pays et notamment en :
- Afrique du Sud : premier Etat à délivrer un brevet sur les inventions réalisées par DABUS;
- Australie : décision de l’office australien des brevets de rejeter la demande de brevet DABUS (4) et (5).
Dans ce dernier cas, la Cour avait retenu que la loi australienne sur les brevets ne définissait pas la notion d’inventeur mais uniquement les personnes susceptibles de faire l’objet d’un droit au brevet. Elle en déduisait que si « seul un être humain ou une autre personne morale peut être propriétaire, utilisateur ou titulaire d’un brevet […], c’est une erreur d’en déduire qu’un inventeur ne peut être qu’un être humain » (5). Et d’en conclure que le Dr Thaler pouvait détenir les droits de brevets sur les inventions générées par l’IA dont il est le propriétaire et le créateur.
La protection des inventions mises au point par une IA : une question loin d’être résolue
Sur la base d’une réglementation proche, l’Office néo-zélandais des brevets (IPONZ) prend le contrepied de la solution australienne.
En effet, si contrairement à la loi australienne, la loi néo-zélandaise donne une définition de la notion d’inventeur, l’office retient que cette définition vise uniquement à poser le principe selon lequel, l’inventeur doit « avoir contribué à la conception effective de l’invention ». Partant du principe que Dabus qui n’est pas une personne physique, ne peut être « concepteur effectif de l’invention » au sens de la loi, il ne peut être inventeur. Ne pouvant détenir de droits ab initio, le Dr Thaler ne peut tirer aucun droit à délivrance du brevet. (6)
La bataille judiciaire n’est toutefois pas terminée puisque Stephen Thaler a interjeté appel de la décision rendue par le Tribunal fédéral du District Est de l’État de Virginie, devant la Cour d’appel pour le Circuit Fédéral (Court of Appeal for the Federal Circuit) et demandé, en mars 2022, la poursuite de la procédure d’examen devant l’OEB. En toute logique, il devrait également former un recours contre la décision de l’IPONZ.
Virginie Brunot
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété Industrielle
(1) U.S. Code Title 35, art. 100 Definitions ; U.S. Code Title 35, art. 101 Inventions patentable ; U.S. Code Title 35, art. 102 Conditions for patentability – novelty ; U.S. Code Title 35, art. 115 Inventor’s oath or declaration,
(2) U.S. Code Title 35, art. 115 Inventor’s oath or declaration,
(3) U.S. Code Title 35, art. 115 Inventor’s oath or declaration,
(4) La qualité d’inventeur reconnue à une intelligence artificielle, Virginie Brunot et Justine Ribaucourt, 8-10-2021,
(5) Droits et devoirs – La qualité d’inventeur reconnue à une IA, Alain Bensoussan, Planète Robots n°71, février/mars 2022,
(6) Intellectual Property Office of New Zealand – Patents, Stephen L. Thaler [2022] NZIPOPAT 2, 31-1-2022.