Source de tous les regards, le métavers n’en finit pas d’affoler la toile et d’attirer les investisseurs. Ainsi, le rapport McKinsey sur la « Création de valeur dans le métavers » paru le 15 juin dernier, estime que les métavers pourraient générer un marché allant jusqu’à 5 000 milliards de dollars d’ici à 2030 (1).
Le développement de ces nouvelles technologies implique de nouvelles questions et de nouveaux enjeux juridiques. Les juridictions voient apparaître les premiers contentieux à ce sujet, notamment en matière de propriété intellectuelle.
« MetaBirkin », des NFT de sacs Hermès
C’est ainsi que, le 14 janvier 2022, la société Hermès a assigné, devant le tribunal fédéral de New York, l’artiste M. R. en contrefaçon de son fameux sac Birkin et de la marque correspondante.
Ce dernier a créé une centaine de NFT ayant la forme de sacs Birkin, nommés « MetaBirkin », et les a vendus sur le métavers (plateforme OpenSea) via la blockchain Ethereum contre de la cryptomonnaie (pour l’équivalent de centaines de milliers d’euros).
Hermès a sollicité et obtenu de la plateforme OpenSea la cessation des agissements litigieux mais l’artiste a continué à exploiter les NFT sur la plateforme Rarible (entre autres), Hermès a donc engagé une procédure judiciaire.
La Blockchain et le Métavers
Si l’affaire intervient dans un monde bien réel, elle suppose de se pencher sur quelques notions propres au métavers.
Celui-ci peut s’appréhender comme un monde virtuel en tant que tel. En ce sens, il diffère de la réalité augmentée qui permet de superposer des informations stockées dans le virtuel sur le monde réel.
Il s’agit d’un ensemble d’espaces virtuels interconnectés dans lesquels des utilisateurs peuvent partager des expériences immersives en 3D en temps réel.
Le fonctionnement du métavers repose principalement sur la blockchain. Cette « technologie de stockage et de transmission d’informations » (2) permet à ses utilisateurs, connectés en réseau, de partager des données sans intermédiaire et sans organe central de contrôle.
Cette technologie permet ainsi de procéder à des transactions effectuées avec la crypto-monnaie, moyen de paiement utilisé dans le métavers.
Les NFT : non-fongible tokens
C’est là qu’entrent en jeu les fameux NFT, les « non-fongible tokens ». Définis comme des fichiers de données, uniques et infalsifiables, insérés au sein de la technologie blockchain, ils permettent de garantir l’authenticité d’une œuvre originale ou de sa reproduction, voire à constituer l’œuvre originale elle-même.
Ils peuvent porter sur une création numérique unique ou constituer une version « tokenisée » de créations préexistantes, quel qu’en soit le genre (3).
A cet égard, le Code monétaire et financier appréhende la blockchain comme « un dispositif d’enregistrement électronique partagé » (CMF art. L.211-3) et les NFT comme des jetons au titre de l’article L.552-2 du CMF.
Mais au-delà de ces aspects techniques et économiques, la définition juridique du métavers lui-même reste floue : on constate une véritable rupture juridique et l’absence de cadre juridique propre au métavers (4).
Pour autant, son fonctionnement soulève de nouvelles questions et nouveaux enjeux juridiques.
« MetaBirkin », contrefaçon de la marque BIRKIN
En propriété intellectuelle, le sujet de l’application du droit des marques et de la mise en œuvre de la contrefaçon au sein du métavers devient central, et les juridictions devraient rapidement avoir à se prononcer sur le sujet comme dans l’affaire Metabirkin.
Ainsi, dans sa plainte (5), Hermès accuse d’abord l’artiste de contrefaçon de sa marque BIRKIN en invoquant son utilisation non autorisée dans le commerce pour la vente et la publicité de ses produits, les NFT MétaBirkin.
Cette utilisation illicite causerait une confusion dans l’esprit du public et l’induirait en erreur sur l’origine des produits, ce qui nuirait à l’image de marque d’Hermès. L’artiste profiterait également de la réputation d’Hermès.
La société accuse également M. R. de fausse appellation d’origine, de dilution de marque, de cybersquatting, d’atteinte à la réputation et de concurrence déloyale.
Pour justifier l’application du droit des marques dans le métavers, Hermès appuie à chaque fois son argumentaire sur :
- l’utilisation du nom « Birkin » dans un but commercial et surtout de façon identique à l’usage fait dans le monde « réel » et
- la valeur identique des sacs Birkin et des NFT MetaBirkin.
Hermès réclame l’interdiction de tout :
- usage de son nom, de sa marque, de son sac et
- acte pouvant créer une confusion auprès du public ou porter atteinte à sa réputation.
La protection des marques dans le monde virtuel
M. R. a opposé à Hermès le premier amendement de la Constitution américaine qui consacre le principe de liberté d’expression. Il explique que les NFT litigieux sont des œuvres d’art dénonçant la maltraitance animale. Partant de là, on ne peut lui interdire de s’exprimer par ce biais.
Bien qu’initié aux Etats-Unis, ce contentieux soulève des questions essentielles transposables à la situation européenne :
- Comment définir un usage à titre de marque sous forme de NFT dans le métavers ?
- Quels critères retenir pour la contrefaçon ?
- Quels produits doivent être pris en considération à cet effet ?
La comparaison des signes en conflit
En effet, le périmètre matériel de protection de la marque est doublement limité :
- d’une part, au regard du signe protégé et
- d’autre part, au regard des produits et services visés.
Dans l’affaire Metabirkin, la question de la comparaison des signes en conflit ne devait pas devoir être centrale. En effet, il semble pouvoir être soutenu que l’élément distinctif des deux signes demeure l’élément « birkin ». Sa notoriété accentue la distinctivité tandis que le préfixe « meta » apparait descriptif de la nature ou de la destination du produit visé, le « métavers ».
Relevons qu’en 2018, le Tribunal de l’Union européenne avait jugé que le préfixe « meta » était doté d’un « caractère distinctif normal pour désigner des services sur internet » (6).
Néanmoins, on peut raisonnablement imaginer que quatre ans plus tard et face au déploiement massif du métavers, le préfixe « meta », puisse être jugé dépourvu de distinctivité pour de tels services comme l’ont été, avant lui, les lettres « e » pour « électronique » ou « i » pour « internet » (7).
La comparaison des produits et services
Cependant, une fois passé l’obstacle de la comparaison des signes, celui de la comparaison des produits et services demeure.
En effet, le périmètre matériel de protection accordé à la marque est délimité par les produits et services visés à son enregistrement, produits et services listés par la Classification internationale de Nice.
En application de cette classification, un sac, tel que dans l’affaire en question est logiquement protégé en classe 18 qui vise les « cuir et imitations du cuir ; peaux d’animaux ; bagages et sacs de transport ; (…) ».
Dès lors, une telle protection peut-être être opposée à la reprise du signe pour des NFTs. Autrement dit, pour des fichiers de données, lesquels relèvent plus vraisemblablement de la classe 9 et n’apparaissent, ni identiques, ni similaires au produit « sac ».
La question est d’autant plus pertinente que, par une décision récente, la Cour Suprême britannique (U.K. High Court) vient de reconnaître que les NFT devaient être appréhendés comme des biens susceptibles de protection légale en tant que tels, c’est-à-dire distincts de la chose représentée (8). Autrement dit, un NFT devrait être appréhendé comme un fichier de données indépendamment du produit qu’il permet de représenter.
L’étendue du droit
Si cette interprétation devait être suivie, il conviendra de s’interroger sur la protection des marques actuellement couvertes pour des biens physiques et non pour leur représentation numérique.
Nombre d’entreprises ont d’ores et déjà pris conscience du problème. Elles envisagent le dépôt de leur marque, non plus seulement pour les produits physiques mais également pour les produits et services numériques susceptibles de représenter le produit dans un monde virtuel.
A titre d’exemples, Nike, qui a par ailleurs racheté la marque de baskets virtuelles RTFK, a, de nouveau déposé à titre de marque le signe verbal « Nike » mais également sa célèbre griffe pour désigner expressément :
- en classe 9, les « produits virtuels téléchargeables, à savoir, programmes informatiques proposant des articles chaussants, des vêtements, des articles de chapellerie, des articles de lunetterie, des sacs, des sacs de sport, des sacs à dos, des équipements de sport, des objets d’art, des jouets et des accessoires à utiliser en ligne et dans des mondes virtuels en ligne»
- en classe 35, les « services de détail en ligne en rapport avec les domaines suivants : marchandises virtuelles, à savoir, Articles chaussants, Articles d’habillement, Articles de chapellerie, Lunettes, Sacs, Sacs de sport, Sacs à dos, Équipements de sport, Art, Jouets et Accessoires » ;
- ou encore, en classe 41, la fourniture de chaussures, vêtements et autres « accessoires virtuels non téléchargeables à utiliser dans des environnements virtuels » (9).
Ainsi, indépendamment de la volonté d’entreprendre une activité dans le métavers, il apparait indispensable de s’interroger sur la protection des marques enregistrées et d’envisager, le cas échéant, une extension de leur protection face aux risques de reprise dans le monde virtuel.
S’agissant d’Hermès, il ne semble pas que la marque BIRKIN ait fait l’objet d’une telle protection.
Le métavers et les enjeux de propriété intellectuelle
La Cour américaine du District Sud new-yorkais a rejeté en mai dernier, la requête en rejet formulée par M.R. (10). L’affaire devrait donc se poursuivre sur le fond.
Certes, les réponses apportées le seront au regard du droit américain et non français. Mais il sera possible d’en tirer des pistes de réflexion en droit national comme européen.
Il sera intéressant de suivre l’affaire et d’analyser la décision prise par les juges new-yorkais afin de comparer les raisonnements. Toute proportion gardée, car les sanctions, notamment les dommages et intérêts accordés par les juges, risquent d’être beaucoup plus importantes.
La médiatisation de ce litige n’est pas uniquement provoquée par l’implication d’une grande maison de luxe. Elle illustre surtout la multiplication des enjeux de propriété intellectuelle liés aux NFT et au métavers.
Virginie Brunot
Cécile Merveilleux du Vignaux
Lexing Droit Propriété Industrielle
(1) Mackinsey, Value creation in the metaverse, juin 2022.
(2) « Qu’est-ce que la blockchain ? », economie.gouv.fr, le 12 avril 2022.
(3) « Le CSPLA lance une mission sur les « Non Fungible Tokens » (NFT) », Légipresse 2021, n°397, p.515, dalloz.fr.
(4) « Vers un droit des métavers ? » par Maître Alain Bensoussan, Planète robots n°72, Mars/Avril 2022.
(5) Hermes International v. Rothschild, No. 22-cv-384 (JSR) (S.D.N.Y. jan. 14, 2022).
(6) TUE 3e ch. T-273/16, 16-1-2018, Sun Media c/ EUIPO (demande de marque METAPORN).
(7) Directives relatives à l’examen devant l’Office, Partie C, Opposition, p.19. Pour des exemples : EUIPO, R 758/2002-2, 19-4-2004 (ITUNES) ; TUE 4e ch. T-118/16, 20-02-2018 (ePOST).
(8) Riah Pryor, « NFTs recognised as ‘legal property’ in landmark case », The art newspaper 29-04-2022.
(9) Marque de l’Union européenne NIKE n°018 586 666, 26-10-2021, inpi.fr.
(10) US DC of Southern district of New York, Hermes Int. and Hermes of Paris Inc. vs. M.R., Order, 05-05-2022.