La jurisprudence vient de préciser la manière d’articuler le droit à la preuve avec l’obligation de protection des données personnelles pour le cas spécifique des salariés.
Avec les nouvelles technologies et méthodes de communication, la jurisprudence en matière de droit à la preuve évolue et s’adapte.
Néanmoins, rappelons que selon l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Ainsi :
« les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile :
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Le droit à la preuve au regard des textes et de la jurisprudence préexistante
Un arrêt du 25 novembre 2020 marque un tournant important dans la jurisprudence relative à la preuve. La chambre sociale de la Cour de cassation admet la recevabilité d’une preuve jusqu’alors considérée comme illicite dans le cadre du traitement des données personnelles, avant l’entrée en vigueur du RGPD. Pour cela, la preuve doit avoir un caractère « indispensable » à l’exercice des droits du salarié.
En effet, la Cour a jugé que :
« l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (…) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats ».
Ainsi, il appartient au juge d’apprécier :
« si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
La Cour a déjà considéré, à plusieurs reprises (1), que le droit à la preuve pouvait justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que :
« cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
Le droit à la preuve au regard de la nouvelle jurisprudence européenne
Dans un arrêt du 2 mars 2023 (2), la Cour de justice de l’Union européenne considère, qu’en cas de refus fondé sur le RGPD de transmettre un document, les juges peuvent se le faire communiquer afin de :
- déterminer le caractère adéquat et pertinent de la production du document à la solution du litige et si le recours à des moyens « moins intrusifs » peuvent le remplacer ;
- évaluer si les données personnelles potentiellement contenues dans le document doivent faire l’objet de mesures de protection (e.g. pseudonymisation) ;
- interdire à la partie qui reçoit le document de l’utiliser à d’autres fins que probatoire dans le cadre du litige.
La CJUE propose ainsi une manière pour les juridictions d’articuler ce droit avec l’obligation de protection des données personnelles. Elle établit des critères d’appréciation et de contrôle de la communication des documents contenant des données protégées par le RGPD.
Le droit à la preuve au regard de la nouvelle jurisprudence nationale
Dans un arrêt du 8 mars 2023 (3), la Cour de cassation considère que ce droit peut « justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés » à condition que cette communication soit :
- indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’inégalité de traitement invoquée ;
- proportionnée au but poursuivi ;
- limitée si besoin, pour protéger le droit à la vie privée des salariés masculins concernés.
En l’espèce, les bulletins de paie occultent les données sensibles, à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle et de la rémunération.
Selon la Cour d’appel, la communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. Ce dernier était, en l’espèce, de défendre l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
Virginie Bensoussan-Brulé
Tess Sedbon, élève avocate à l’HEDAC
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(1) A titre d’exemples : Cass. soc., 09-11-2016, n°15-10203 et Cass. soc., 22-09-2021, n°19-26144.
(2) CJUE, 02-03-2023, n° C‑268/21, Norra Stockholm Bygg AB.
(3) Cass. soc. 08-03-2023, n°21-12492.