L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux propose des évolutions en matière d’articulation avec le droit commun des contrats. Le caractère supplétif ou impératif du droit des contrats spéciaux mérite également d’être étudié dans le cadre de l’avant-projet.
La cohabitation entre le droit commun et le droit spécial des contrats
L’ordonnance du 10 février 2016 a réformé le droit commun des contrats. Ce dernier dispose de nombreuses règles qui ont vocation à être précisées et parfois complétées par le droit spécial.
Pour autant, l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux semble se cantonner à reprendre et à renvoyer aux règles de droit commun, ou à l’inverse à s’en défaire drastiquement.
La pertinence des redites du droit commun
Concernant les redites, elles n’ont pas d’intérêt particulier. En effet, dès lors que le droit commun des contrats suffit, un simple renvoi pourrait être plus utile.
Il en va par exemple de l’article 1595 de l’avant-projet, qui reprend l’actuel article 1594 du Code civil. Selon celui-ci : « tous ceux auxquels la loi ne l’interdit pas peuvent acheter ou vendre ». Or l’article 1145, alinéa 1 du même Code énonce également cette règle.
De même, l’article 1583 de l’avant-projet, ne fait que résumer l’article 1172, alinéa 1 du Code civil. Celui-ci n’ajoute aucun élément à la qualification de principe de la vente en tant que contrat consensuel.
Les rédacteurs de l’avant-projet ont également souhaité opérer des renvois à des textes issus du droit commun des contrats. Toutefois, ces renvois ne sont pas toujours pertinents. En effet, là où le droit spécial des contrats est muet, il est évident que le droit commun s’applique.
La pertinence du renvoi aux textes du droit commun
Pour autant, l’article 1585 de l’avant-projet précise que les dispositions relatives aux pactes de préférence sont applicables à la vente. De la même manière, l’article 1588 de l’avant-projet prévoit que les dispositions relatives aux promesses unilatérales s’appliquent à la vente.
Il en va de même pour la règle de l’article 1163 du Code civil, prévoyant la détermination de l’objet du contrat.
Selon l’article 1719 de l’avant-projet, cette règle s’applique également au contrat de vente. Pour autant, un tel renvoi n’est pas effectué pour les contrats spéciaux que sont le bail et le prêt. En conséquence, cela peut conduire à une interrogation quant à l’application de l’article 1163 à ces derniers.
Ces redites et renvois aux règles de droit commun questionnent l’intérêt même de ces nouveaux articles du droit spécial. En effet, le droit spécial a pour vocation première de compléter des règles générales et de préciser des cas particuliers. Mais également, de pérenniser les solutions jurisprudentielles qui sont venues apporter des réponses aux vides juridiques laissés par les textes.
Le droit spécial des contrats peut en revanche venir déroger au droit commun. Par exemple, l’article 1738 de l’avant-projet déroge à l’article 1216-1 du Code civil.
Pour autant, la césure entre le droit commun des contrats et l’avant-projet de réforme va encore plus loin. Les rédacteurs de l’avant-projet affirment que : « le droit de la vente continuera ainsi de nourrir le droit commun des contrats » (1). Ce droit est pourtant censé prévoir des règles spéciales lorsque les règles de droit commun ne trouvent pas à s’appliquer.
Or au lieu de prévoir des dispositions relatives aux avant-contrats qui trouveraient à s’appliquer à l’ensemble des contrats spéciaux, avec au besoin quelques adaptations, les auteurs de la réforme ont préféré énoncer des règles spécifiques au pacte de préférence de vente et à la promesse unilatérale de vente.
Le caractère supplétif ou impératif du droit des contrats spéciaux
L’avant-projet de réforme entend laisser une grande place à la liberté contractuelle. Il ne prévoit pas également de caractère impératif à l’ensemble des nouvelles règles édictées.
Cette décision est critiquable dès lors que les mécanismes de protection de droit commun peuvent être écartés par la jurisprudence. Notamment, le cas de l’article 1171 du Code civil relatif aux clauses abusives du contrat d’adhésion (Cass. com., 26-01-2022, n°20-16.782).
La mise en place d’une échelle d’impérativité
Les auteurs de la réforme ont indiqué que l’ensemble des normes de l’avant-projet seront « largement supplétif de volonté » (1). Ils proposent toutefois une échelle de l’impérativité comportant trois niveaux :
- le premier niveau correspond à l’absence de liberté contractuelle lorsqu’un texte est expressément déclaré impératif. Cette situation ne concerne que des textes antérieurs repris dans l’avant-projet ainsi que « les articles définitoires [qui] sont indérogeables par nature ». Cela n’empêche pas cependant le juge de requalifier le contrat des parties ;
- le deuxième niveau contient la majorité des règles propres aux contrats spéciaux. Elles sont supplétives de volonté, sous réserve de la requalification de clauses en clauses abusives ;
- le troisième niveau a pour spécificité de prévoir des règles qui conjuguent les caractères impératifs et supplétifs. L’avant-projet affirme ainsi : « Quand une règle se trouve formulée « sauf stipulation contraire », la liberté serait alors de plano à son maximum » (2). Se pose la question de l’application du contrôle des clauses abusives et des risques qui pourraient en découler.
Le renforcement de la liberté contractuelle
La réforme du droit des contrats spéciaux a donc la particularité de renforcer la place laissée à la liberté contractuelle des parties. Elle écarte ainsi le contrôle opéré en pratique par le juge pour combattre les clauses abusives. En effet, les textes de l’avant-projet comportent régulièrement les mentions :
- « sauf stipulation contraire » ;
- « sauf clause contraire » ;
- « sauf disposition contraire » ;
- « sauf convention contraire » ;
- « sauf autre délai convenu entre les parties ».
En conclusion, la réforme du droit des contrats spéciaux opère des changements en matière d’articulation entre droit commun des contrats et droit des contrats spéciaux, ainsi qu’en termes d’impérativité et de supplétive de ces dernières règles. Il conviendra d’observer si les juges suivront la tendance de la minimisation du contrôle des clauses abusives.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot,
Jessica Pereira Quaresma
Laure Siciliano
Lexing Contentieux et expertise informatique
Notes
(1) Fiche d’orientation : droit commun et règles supplétives, dalloz.fr, mai 2022.
(2) Philippe Stoffel-Munck, « Présentation de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », texte.justice.gouv.fr, 03-05-2022.