La contrefaçon sur internet reste un véritable fléau pour la société. En témoigne, la récente décision de bloquer l’accès à Uptobox.
La diffusion d’œuvres protégées sur internet a connu son apogée dans les années 2010. Depuis, le législateur a pris des mesures pour permettre aux ayants droit de lutter plus efficacement :
- contre la diffusion à grande échelle et
- sans autorisation de contenus protégés sur internet.
Dans leur lutte contre la contrefaçon sur internet d’œuvres protégées, les ayants droit utilisent tous les moyens à leur disposition.
Ainsi, l’arsenal législateur s’intéresse évidemment :
- à la personne à l’origine de la diffusion des œuvres protégées (article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle) ;
- aux internautes qui téléchargent les œuvres sur les réseaux P2P (Lois Hadopi) ;
- aux prestataires permettant aux sites web contrefaisants de fonctionner (article L.336-2 du CPI).
C’est dans le cadre de ce dernier article qu’une décision très intéressante du Tribunal judiciaire de Paris datée du 11 mai 2023 apporte une certaine nouveauté.
Le blocage de l’accès à Uptobox
Le tribunal judiciaire a ordonné aux grands opérateurs français de bloquer pendant dix-huit mois l’accès à Uptobox. Ce site étant qualifié comme « un des plus gros acteurs de téléchargement direct et haut lieu de piratage de films et de séries dans l’Hexagone » (1).
En effet, l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle indique que :
« En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l’image animée ».
L’article vise « toute personne susceptible de contribuer à remédier » à la diffusion non autorisée des œuvres protégées. Il peut s’agir :
- des hébergeurs techniques qui sont quasi systématiquement à l’étranger pour l’hébergement des sites pirates ;
- des moteurs de recherches pour leur référencement mais non visés dans la présente décision ;
- des opérateurs de nom de domaine (serveurs DNS, Registres, Registraar ou même pourquoi pas l’Icann) et bien entendu ;
- des fournisseurs d’accès à internet (FAI).
Lutter contre la contrefaçon sur internet : une priorité constante pour les titulaires de droits
En France, les ayants droit du cinéma ont pour habitude de demander le blocage des sites contrefaisants aux FAI. La décision du 11 mai dernier n’a pas apporté de nouveautés à ce niveau là :
- cette décision vise les 4 principaux FAI français SFR, ORANGE, BOUYGUES TELECOM et FREE et
- auxquels les titulaires de droit ont demandé de bloquer (à leur frais) l’accès aux domaines litigieux (2).
La nouveauté de cette décision se situe ailleurs, à savoir dans le rôle joué par le site bloqué.
En effet, ce site n’est pas un site de référencement de lien de téléchargement ou de streaming (3) mais un site chargé d’héberger les contenus contrefaisants.
Ce site pourtant protégé par une législation extrêmement favorable qui impose aux ayants droit de lui notifier préalablement les contenus contrefaisants en vue de leur suppression a vu son blocage validé en justice.
La procédure de notification et de retrait de contenu illicite sur Uptobox jugée inefficace
Les ayants droit ont réussi à prouver que les notifications réalisées par leurs soins étaient inefficaces.
Les juges relèvent en effet que l’exploitant du site :
- « sait que des contenus protégés sont massivement et illégalement mis à la disposition du public sur sa plateforme », et qu’il
- « s’abstient de mettre en place des mesures techniques qui lui permettraient de contrer avec la diligence attendue de sa part, de manière crédible et efficace les violations des droits d’auteur qui sont faites par son intermédiaire ».
Les juges ont constaté que les utilisateurs étaient informés des retraits de contenus effectués (alors que les titulaires de droits ou leurs représentants ne le sont pas) de manière à leur permettre de remettre quasi immédiatement en ligne les contenus retirés à la demande des titulaires de droits.
Ils évoquent ici la mise en œuvre de dispositifs techniques empêchant la réintroduction des contenus protégés quand ils ont été préalablement notifiés comme le Content ID de YouTube par exemple.
Un site majoritairement utilisé à des fins de contrefaçon sur internet
Les ayants droit ont par ailleurs réussi à prouver que le site était majoritairement utilisé à des fins de contrefaçon.
Pour arriver à leur fin, les agents assermentés ont pu constater que la plateforme « comportait un total de plus de 25.000 liens actifs et mis à la disposition du public et que la grande majorité permet l’accès sans autorisation à des œuvres protégées ».
Le travail fourni pour obtenir ce type d’information n’est pas un travail facile.
La décision évoque une méthodologie statistique permettant d’affirmer que cet hébergeur était utilisé dans sa grande majorité à des fins illicites.
Un élément a cependant dû peser dans la balance. Les agents assermentés ont démontré que « les utilisateurs qui publient les liens uptobox sont en l’occurrence des sites de liens (…) qui ont fait eux même l’objet de mesure de blocage judiciaire par des jugements précédents ».
Un site exploité par les pirates pour générer d’importants revenus passifs grâce aux publicités
Autres éléments pertinents, les agents assermentés démontrent que cet hébergeur « génère des revenus par la mise en place d’abonnements payants et des rétributions financières aussi bien pour elle-même que pour leur utilisateur en fonction du taux de fréquentation de leur vidéo et des publicités qui ont été visionnées ».
On imagine à ce titre que la diffusion en exclusivité du dernier blockbuster américain en libre téléchargement sur internet aura plus de succès que la diffusion des photos de famille du pirate.
Un site visé par la Commission européenne
Un autre point non relevé dans la décision a pu jouer dans la décision des juges. La Commission Européenne avait pointé ce site en 2022 dans le cadre de sa liste de surveillance du piratage et de la contrefaçon sur internet (Communiqué CE du 01-12-2022) .
Celui-ci figure dans cette liste comme un « cyberlocker » (4) c’est-à-dire :
« un type de service de stockage et de partage en nuage qui permet aux utilisateurs de télécharger, de stocker et de partager du contenu sur des serveurs en ligne centralisés ».
La Commission Européenne note que ce type de service qui a vu son audience globale augmenter entre 2020 et 2022 permet d’accéder à du contenu protégé sans autorisation et que la plupart des cyberlockers de cette liste « ont reçu des avis de retrait de contenu ou des avis d’interdiction de diffusion mais n’ont pas réagi ou n’ont pas retiré le contenu, même si certains d’entre eux publient leur politique en matière de propriété intellectuelle ».
Et maintenant que va-t-il se passer ?
Le site internet pirate a déjà réagi pour tenter d’échapper à ce blocage.
Il a notamment indiqué sur son compte Twitter les manipulations techniques que les internautes français doivent réaliser pour contourner le blocage. Il a par ailleurs annoncé le lancement de 2 nouvelles extensions URL.
Les ayants droit devront-ils retourner devant le juge pour bloquer ces nouveaux sites miroirs ?
Rien n’est moins sûr, il faut savoir que l’Arcom, haute autorité issue de la fusion CSA / Hadopi s’est vu confier la mission de bloquer des sites de diffusion illicite d’œuvres protégées que ce soit pour la diffusion de musiques ou de films ou de retranscriptions sportives (Article L. 333-10 du Code du sport).
L’Arcom précisait à cet effet en 2022 que « le contournement doit être pris en considération par l’ensemble des acteurs. Il convient donc de rester vigilant face aux comportements illicites des internautes, en particulier en termes de pratiques de contournement des mesures de blocage. Au-delà des fournisseurs d’accès à internet, acteurs déterminants de cette lutte contre les sites illicites, ce sont l’ensemble des intermédiaires techniques de l’écosystème d’internet, tels que les fournisseurs de système de noms de domaine (DNS), les réseaux privés virtuels (VPN) » (5).
Il est probable qu’après avoir obtenu cette première décision, les ayants droit notifient à cet organisme tous les sites miroirs qui viendraient prendre la suite de ce dernier. Ils pourraient ainsi en obtenir le blocage quasiment en temps réel.
Anthony Sitbon
Directeur du département Sécurité
Lexing Technologies
Notes
(1) Stéphanie Bascou, « Piratage de films : pourquoi Uptobox est bloqué en France », 01net.com, 17 mai 2023.
(2) « uptobox.com » et domaines qui lui sont liés : « uptostream.com », « uptobox.fr », « uptostream.fr », « beta-uptobox.com », « uptostream.net ».
(3) Comme pouvaient l’être tous les précédents sites qui ont été bloqués de cette manière dès 2013, cf. Nicolas Lellouche, « La justice française ordonne le blocage de plusieurs sites de streaming », Numerama.com, 11 février 2023.
(4) Liste de surveillance de la contrefaçon sur internet disponible sur le site de la Commission européenne.
(5) Roch Arène, « L’Arcom passe à l’offensive et bloque plus de 800 sites de streaming sportif », Cnetfrance.com, 7 novembre 2022.