L’avant-projet de réforme des contrats spéciaux propose des évolutions concernant les dispositions relatives au contrat d’entreprise (1). Ces changements concernent les effets du contrat d’entreprise.
La Commission Stoffel-Munck a choisi d’écarter la distinction entre les obligations de l’entrepreneur et celles du maître de l’ouvrage. En effet, elle a jugé qu’il n’était pas nécessaire de les séparer en raison de leur forte « imbrication ». A la place, l’avant-projet de réforme adopte une approche chronologique, de la réalisation à la réception de l’ouvrage. Cette approche permettrait selon elle de mieux correspondre « en outre à la dualité d’objet du contrat d’entreprise » (2).
La définition de la réalisation de l’ouvrage par l’entrepreneur
Tout d’abord, il convient de noter que l’avant-projet encadre la réalisation de l’ouvrage aux articles 1763 à 1772.
L’article 1763 de l’avant-projet définit l’obligation de l’entrepreneur de réaliser l’ouvrage. Ainsi, « l’entrepreneur est tenu de réaliser l’ouvrage convenu et de le délivrer au client dans le délai fixé ou, à défaut, dans un délai raisonnable ».
Toutefois, l’avant-projet ne spécifie pas la nature de cette obligation, si c’est une obligation de moyens ou de résultat. A noter que la jurisprudence (3) actuelle tend à retenir une obligation de résultat envers l’entrepreneur principal. La Commission affirme ainsi vouloir éviter de cause « davantage de difficultés qu’elle n’en réglerait ».
Concernant l’appréciation de la responsabilité de l’entrepreneur pour manquement à son obligation de réaliser l’ouvrage, l’avant-projet apporte deux précisions :
- « Lorsque le contrat d’entreprise est conclu à titre gratuit, la responsabilité de l’entrepreneur est appréciée moins rigoureusement que s’il est onéreux » (art. 1765) ;
- L’entrepreneur ne peut pas se prévaloir de réserves qu’il n’a pas émises pour s’exonérer d’une éventuelle action en responsabilité (art.1766).
La création d’une obligation de coopération en cas de cotraitance
Ensuite, l’avant-projet introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions relatives aux co-entrepreneurs. C’est-à-dire quand plusieurs entrepreneurs, non liés contractuellement entre eux, interviennent de manière interdépendante à l’élaboration d’un même ouvrage.
L’article 1764 de l’avant-projet vient alors introduire à leur égard une obligation de coopération. Selon cet article « si plusieurs entrepreneurs concourent à la réalisation de l’ouvrage, chacun est tenu envers le client de coopérer avec ceux dont l’intervention s’imbrique avec la sienne ».
La Commission affirme la « vocation prophylactique » de ce texte (2). La doctrine, quant à elle, y voit un assouplissement nécessaire à l’effet relatif des contrats (4). Toutefois, certains auteurs (5) s’inquiètent de l’absence de définition légale de « l’imbrication ». D’autant plus, qu’elle représente un enjeu de qualification majeur en ce qu’elle conditionne cette nouvelle obligation de coopération. La Commission précise que cette notion implique une coopération à « minima utile » pour la réalisation de l’ouvrage. Elle évoque l’idée d’une « interdépendance contractuelle » entre les co-entrepreneurs.
Cet article ne fait cependant pas peser une solidarité entre les co-entrepreneurs qui restent individuellement responsables vis-à-vis du maître d’ouvrage.
La consécration sous-traitance
De plus, l’avant-projet traite extensivement de la sous-traitance aux articles 1767 et suivants. Les auteurs de l’avant-projet de réforme viennent ainsi consacrer la sous-traitance au sein du Code civil. Il faudra donc concilier ces nouvelles dispositions avec la loi de 1975 relative à la sécurisation du paiement du sous-traitant.
Premièrement, l’article 1767 de l’avant-projet rappelle que l’entrepreneur peut ainsi recourir à la sous-traitance sauf clause contraire. Toutefois, dans ce cas, l’entrepreneur répond du sous-traitant vis-à-vis de son client. L’entrepreneur principal s’analyse en un garant, qui répond des fautes du sous-traitant, à l’instar du mandataire avec le sous-mandataire.
Deuxièmement, l’article 1768 crée une action directe de nature contractuelle du maître d’ouvrage contre le sous-traitant. Cette solution rompt ainsi avec la fameuse jurisprudence Besse (6). En effet, elle retenait la responsabilité délictuelle et non contractuelle du sous-traitant à l’égard du maître d’ouvrage. Cependant, cet article précise que le sous-traitant peut se prévaloir des exceptions que l’entrepreneur pourrait opposer au maître de l’ouvrage.
Troisièmement, l’article 1769 permet au maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal d’agir contre fournisseur du sous-traitant. La Commission ne fait alors que rappeler la jurisprudence Résidence Brigitte (7). Le vendeur pourra cependant leur opposer toutes les exceptions inhérentes au contrat de vente conclu avec le sous-traitant.
Quatrièmement, l’article 1770 agit comme un régulateur. Il dispose que dans les cas précédemment listés, l’entrepreneur et le sous-traitant conservent leur droit d’agir contre le maître d’ouvrage. Cependant, il faudra que les actions qu’ils auront intentées soient « compatibles » avec celle du maître.
En dernier lieu, l’article 1771 de l’avant-projet qui vient bilatéraliser l’action directe. Ainsi, le sous-traitant dispose d’une action directe en paiement contre le maître de l’ouvrage en cas de non-paiement par l’entrepreneur.
La réception de l’ouvrage
L’avant-projet encadre la réception de l’ouvrage aux articles 1174 et suivants. La Commission ne fait que reprendre en grande partie les solutions jurisprudentielles à ce sujet.
Tout d’abord, l’article 1774 la définit comme « l’acte juridique par lequel le client déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserve ». Il précise que la réception de l’ouvrage est expresse ou tacite. L’avant-projet ne fait ainsi que reprendre la définition actuelle de l’article 1792-6 du Code civil.
Dans le cadre de la réception expresse, l’article 1775 reprend l’exigence jurisprudentielle du respect du contradictoire (8). L’avant-projet précise cependant que les réserves doivent également respecter ce principe.
L’article 1776 quant à lui précise que la réception n’est tacite que si on caractérise une volonté non équivoque. Celui-ci instaure également une présomption simple de la réception tacite en cas de prise de possession de l’ouvrage et paiement du solde du prix. Là encore, l’avant-projet ne reprend que les solutions jurisprudentielles en la matière (9).
L’avant-projet vient également au sein de son article 1777 reprendre la réception judiciaire admise par la jurisprudence (10). Ainsi, le juge peut prononcer la réception, avec ou sans réserve, si « l’ouvrage satisfait à sa destination ».
Enfin, l’avant-projet vient consacrer les effets de la réception à l’article 1778 au sein du Code civil. Celui-ci en distingue trois, la réception :
- « couvre tout vice ou défaut de conformité apparents n’ayant pas fait l’objet de réserves » (11) ;
- « marque le point de départ des garanties dues par l’entrepreneur et fait courir les délais des actions en responsabilité contre lui » ;
- « emporte transfert de propriété et des risques de l’ouvrage » sauf stipulations contraires ;
- « rend le prix, ou le solde du prix, exigible » si la réception ne comporte pas de réserves.
En conclusion, l’avant-projet des contrats spéciaux vient consacrer d’importantes solutions jurisprudentielles concernant les effets du contrat d‘entreprise.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot,
Jessica Pereira Quaresma
Lexing Contentieux et expertise informatique
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Notes de bas de page :
(1) Sur le contenu du contrat d’entreprise réformé, Cf. Notre post du 27 juin 2023.
(2) Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, version commentée, textes.justice.gouv.fr, juillet 2022.
(3) Cass. 3e civ. 2-2-2017 n° 15-29.420
(4) Tarik Lakssimi, « Les opérations complexes dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », Recueil Dalloz 2023 p.1130
(5) Cyrille Charbonneau, Marianne Faure-Abbad, David Gantschnig, Matthieu Poumarède et Jean-Philippe Tricoire, « Le contrat d’entreprise dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux », RDI 2022 p.552.
(6) Cass. ass. plén. 12-7-1991, n° 90-13.602
(7) Cass. ass. plén. 7-2-1986 n° 84-15.189
(8) Cass. 3e civ. 20-10-2021 n° 20-20.428
(9) Cass. 3e civ. 16-2-2005 n° 03-16.880 et Cass. 3e civ. 18-5-2017 n° 16-11.260
(10) Cass. 3e civ. 12-10-2017 n° 15-27.802
(11) Cass. 3e civ., 27 mars 2012, n° 11-15.468