Le 11 octobre 2023, Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, a adressé à Elon Musk, dirigeant de X (anciennement Twitter) une lettre dans laquelle il a rappelé les obligations portées par le règlement européen sur les services numériques, couramment appelé « DSA », pour Digital Services Act (1).
Il a également souligné les risques de sanctions qui pèsent sur la plateforme. En l’occurrence, l’absence d’efforts de X pour lutter contre les contenus illégaux et la désinformation liés à l’attaque du Hamas contre Israël, en seraient la cause.
La chronologie ayant mené au courrier de rappel des obligations du DSA
Le 19 octobre 2022, le DSA est adopté par le Parlement européen et le Conseil. Ce dernier réunit les ministres des États membres de l’Union européenne (UE).
Ce règlement oblige les grandes plateformes numériques, comme Google, TikTok, Facebook ou X (ex-Twitter), à prendre des mesures efficaces contre la diffusion de contenus illicites tels que ceux incitant à la haine en ligne, mais aussi contre la diffusion de contenus pouvant avoir un « effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique » (article 34 du DSA).
Ceci inclut donc les propos qui pourraient conduire à véhiculer des messages de désinformation.
Concomitamment à l’adoption du DSA, Elon Musk acquiert le réseau social Twitter qui fut rebaptisé « X » en juillet 2023.
Dès le 28 octobre 2022, Thierry Breton, indiquait publiquement qu’ « En Europe, l’oiseau volera selon nos règles européennes ».
Le 26 mai 2023, le Commissaire européen au marché intérieur annonçait que X se retirait du « Code de bonnes pratiques » de l’UE en matière de désinformation en ligne qui est un accord regroupant les principales plates-formes sur une base volontaire).
Plus tard, le Ministre français du Numérique, affirmait que Twitter risquait d’être « banni de l’Union européenne ». Il l’invitait, implicitement, à se conformer aux règles européennes de lutte contre la désinformation.
Enfin, le 11 octobre 2023, Thierry Breton adressait un courrier à Elon Musk le menaçant de sanctions face à la passivité de X à lutter contre les contenus illégaux et la désinformation sur l’attaque perpétrée par le Hamas contre l’Etat d’Israël.
Les sanctions possibles au titre du DSA
Les principales sanctions en cas de manquement aux obligations prévues par le DSA sont les suivantes :
- une amende infligée à la plateforme. Elle ne peut excéder 6 % de son chiffre d’affaires mondial annuel au cours de l’exercice précédent. Article 52, 3., du DSA ;
- en cas de manquements graves et répétés par une plateforme: une restriction temporaire de l’accès au service peut être appliquée. Article 51, 3., b), du DSA ;
- s’agissant des très grandes plateformes, une astreinte peut aussi être prononcée par les Etats membres. Elle représente au maximum 5 % des revenus ou du chiffre d’affaires mondial quotidiens moyens de la plateforme au cours de l’exercice précédent, par jour d’astreinte, à compter de la date mentionnée dans la décision visée. Article 52, 4., du DS.
Selon le DSA, chaque pays de l’UE désigne une autorité indépendante pour assurer les fonctions de « coordinateur des services numériques ». Cette démarche vise à assurer une cohérence du règlement à l’échelle nationale.
En France, la régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), serait responsable de sécuriser et réguler l’espace numérique.
Il reviendra ainsi à l’Arcom :
- d’assurer la coordination entre les différentes autorités nationales compétentes, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation et elle-même ;
- de siéger au sein d’un Comité européen des services numériques ;
- de participer à la surveillance des plateformes en ligne et des moteurs de recherche.
À l’échelle nationale, l’Arcom serait donc chargée de superviser les obligations des services établis en France. En outre, l’Arcom pourrait prononcer les sanctions prévues par le DSA, en cas de non-respect des obligations.
La difficile mise en œuvre des sanctions du DSA
Au vu de la formulation de l’article 34, une censure disproportionnée des contenus en ligne pourrait être encourue.
Un encadrement des sanctions a été imposé. L’idée serait d’éviter de porter atteinte à la liberté d’expression.
Ainsi, la restriction temporaire de l’accès aux services proposés par une plateforme ne peut être appliquée que sous certaines conditions :
- lorsque tous les autres moyens prévus par l’article 53 du DSA pour parvenir à la cessation d’une infraction ont été épuisés (injonction de respecter le DSA, imposition d’une amende et d’une astreinte par jour de retard, ou encore de mesures provisoire) ;
- Si la désinformation cause un « préjudice grave, et que cette infraction constitue une infraction pénale impliquant une menace pour la vie ou la sécurité des personnes ».
Au vu des faits invoqués, il est difficile d’imaginer que X puisse être rapidement et efficacement sanctionnée.
La décision finale reviendra, quoi qu’il en soit et in fine, au pouvoir judiciaire. Plus particulièrement, à la justice irlandaise (X ayant son siège social européen en Irlande).
Pour entrer en voie de sanctions contre X, le juge irlandais devra s’attacher à respecter le principe selon lequel « Toute mesure ordonnée est proportionnée à la nature, à la gravité, à la répétition et à la durée de l’infraction, et ne restreint pas indûment l’accès des destinataires du service concerné aux informations légales » (article 51, 3., alinéa 2nd, du DSA).
Frédéric Forster,
Carl Buffière
Lexing Constructeurs informatiques et télécoms