L’arrêt du 15 novembre 2023 éclaire la question de la prescription de l’action civile en contrefaçon, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délit continu (1). Il court à compter de la date à laquelle la découverte du caractère contrefaisant d’une œuvre a eu lieu, même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée.
Exposé des faits et de la procédure
Un artiste a créé une sculpture en 1985, représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire. L’artiste destinait cette œuvre à une exposition dans un musée.
Lors d’une exposition dans les jardins de la société Le Potager des Princes, plusieurs reproductions de son œuvre sont exposées. L’artiste n’a pas donné son autorisation préalablement à cette exposition. La Cour d’appel de Paris reconnaît le caractère contrefaisant d’une des sculptures par arrêt du 17 décembre 2008.
Le 5 mars 2021, l’artiste assigne en référé la société exposante et son directeur pour contrefaçon de droit d’auteur. Son objectif est de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits et d’obtenir réparation des préjudices subis. En réponse, le défendeur oppose une fin de non-recevoir fondée sur la prescription.
La cour d’appel de Douai rejette les demandes de l’artiste (2). Elle juge son action comme prescrite et donc irrecevable. L’artiste forme donc un pourvoi en cassation pour contester cette décision.
Le point de départ de la prescription de l’action civile en contrefaçon de droit d’auteur lors que le délit persiste dans le temps
La Cour de cassation rappelle qu’aux termes de l’article 2224 du Code civil : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer ».
Sur ce fondement, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt concerné que :
c’est à bon droit que, après avoir énoncé que la prescription des actions civiles en contrefaçon de droit d’auteur est soumise à ces dispositions, la cour d’appel a retenu que, le délai de prescription ayant commencé à courir le 17 décembre 2008, date à laquelle avait été admis le caractère contrefaisant de l’œuvre exposée, l’action intentée le 5 mars 2021 était prescrite, même si la contrefaçon s’inscrivait dans la durée ».
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi formé par l’artiste.
La Cour de cassation adopte une interprétation stricte de l’article 2224 du Code civil. Elle marque une position discordante de la philosophie protectrice et personnaliste du droit d’auteur en France. La Cour le prive d’une action en cas de persistance d’une contrefaçon dans le temps.
Les auteurs doivent dont faire preuve d’une vigilance accrue. Ces derniers doivent agir avec diligence lorsqu’ils découvrent une contrefaçon de leurs œuvres. En effet, il leur est impossible de faire valoir leurs droits devant une juridiction même en cas de continuation du délit.
Réaffirmation de la jurisprudence
A l’instar de ses autres décisions, la Cour estime que l’action en contrefaçon est soumise à l’application du délai de droit commun de l’article 2224 du Code civil.
Cette décision s’inscrit ainsi dans la continuité de la jurisprudence de la Cour. Par exemple, la Cour de cassation a jugé, en 2022 (3), que le délai de prescription quinquennal de droit commun s’applique à l’action en réparation des atteintes aux droits de l’auteur. Elle considère que ce délai court à compter du jour où le titulaire des droits en a eu connaissance.
La chambre commerciale de la Cour de cassation (4) a déjà pris position sur le point de départ du délai de prescription en cas de délits continus de concurrence déloyale. Le délai commence à courir à partir du jour où le demandeur « a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer, peu important que les agissements déloyaux se soient inscrits dans la durée ». Cette décision est également fondée sur l’article 2224 du Code civil.
Dans le présent arrêt, la Cour de cassation confirme ainsi la décision des juges du fond. Elle applique strictement la règle de la prescription quinquennale en présence d’un délit continu s’agissant des actes de contrefaçon de droit d’auteur.
Rébecca Véricel
Charlotte Mechaly
Lexing Propriété Intellectuelle Contentieux
(1) Cass. 1e civ., 15-11-2023, n° 22-23266.
(2) CA Douai, 22-09-2022, n° 21/06332
(3) Cass. 1e civ., 06-04-2022, n° 20-19034
(4) Cass. com., 26-02-2020, n° 18-19153