Face à l’émergence du sharenting, soit le partage par les parents de photographies de leurs enfants sur les réseaux sociaux, le législateur est intervenu pour garantir une meilleure effectivité du droit à l’image de l’enfant et au respect de sa vie privée.
Le droit à l’image de l’enfant, composante du droit à la vie privée, est en effet à l’ère du numérique, un problème d’une grande ampleur, devant faire l’objet d’une protection renforcée face à des pratiques de plus en plus généralisées (1).
Le sharenting est issu de la fusion des termes share et parenting, qui signifient de manière respective « partager » et « parentalité ». Ce terme est défini par la Cnil comme « une pratique qui consiste, pour les parents, à publier des photos ou des vidéos de leurs enfants sur les réseaux sociaux » (2). Dans la mesure où les parents sont à l’origine de la surexposition de leur enfant dans le cyberespace, ils sont corrélativement défaillants dans la protection du droit à l’image de l’enfant. Déjà dans le rapport « Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique » du Défenseur des droits de 2012 avait été souligné que « les violations du droit à l’image des enfants, composante du droit respect de leur vie privée, restent en pratique communément admises ».
Prenant conscience de la nécessité d’encadrer un droit qui connaît un manque d’effectivité important, le législateur français a adopté la loi n°2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image de l’enfant.
Le droit à l’image de l’enfant
Sharenting et respect du droit à l’image de l’enfant
L’image d’une personne, composante du droit à la vie privée, est un attribut de sa personnalité qui bénéficie de la protection accordée par l’article 9 du Code civil.
Principe de valeur constitutionnelle, découlant de l’article II de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (3), la vie privée est par ailleurs protégée par l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, par l’article 8 de Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe et par la Chartre des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000.
Concernant plus particulièrement l’enfant, l’article 16 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dispose que « nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales » entre autres « dans sa vie privée » et que « l’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». La diffusion de l’image d’un enfant nécessite un consentement (4).
L’exercice du droit à l’image de l’enfant avant la loi n°2024-120
Sharenting et respect du droit à l’image de l’enfant
Le droit à l’image de l’enfant, bien qu’étant un attribut de sa personnalité, n’est pas concomitant avec son accès à la personnalité juridique. Aussi, avant que l’enfant atteigne l’âge nubile, les droits de la personnalité de l’enfant sont exercés par ses parents conjointement, lorsqu’ils sont titulaires de l’autorité parentale. La protection du droit à l’image de l’enfant incombe donc aux parents, ce qui peut être néfaste pour le respect de ce droit, notamment en période de généralisation du sharenting.
En cas de différend sur la diffusion de contenus portant sur l’image de l’enfant par l’un de ses père et mère, c’est le juge judiciaire qui en application du droit commun et notamment l’article 9 du Code civil était compétent pour trancher. Or la jurisprudence n’était pas harmonisée sur la qualification, l’exercice du droit à l’image de l’enfant étant au gré des juridictions qualifié d’actes usuels (5) ou non usuels (6, 7 & 8), à savoir exercé par l’un des parents ou nécessairement par les deux.
L’encadrement du sharenting par la loi n°2024-120 du 19 février 2024
Sharenting et respect du droit à l’image de l’enfant
Une nouvelle étape dans la protection de l’enfant et de sa dignité, après la loi du sur les « enfants influenceurs », est offerte par la loi n°2024-120 du 19 février 2024 qui vise à « garantir le respect du droit à l’image des enfants » et accorder le droit positif français face à la banalisation du sharenting.
Le législateur est venu élargir la définition de l’autorité parentale. L’article 371-1 du Code civil dans sa nouvelle rédaction prévoit qu’à l’ensemble de droits et de devoirs définissant l’autorité parentale et ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, s’ajoute la protection par les parents de la vie privée de leur enfant, dont le droit à l’image est une composante.
Plusieurs mécanismes juridiques ont été mis en place par le législateur pour permettre une meilleure protection du droit à l’image de l’enfant.
D’une part, la protection doit se faire dans le respect de l’article 9 du Code civil. Les parents, qui seuls consentent à l’utilisation de l’image de l’enfant, sont appelés à prendre en considération les opinions de l’enfant eu égard à « son âge et à son degré de maturité », selon la nouvelle rédaction de l’article 372-1 du Code civil. Le législateur a repris la formulation de l’article 12 de la Convention international des droits de l’enfant.
La loi accorde également aux enfants le droit de contrôler et de limiter la diffusion de leur propre image en ligne.
Ils ont le droit de demander la suppression ou la désactivation de tout contenu qui les concerne, et les entreprises sont tenues de répondre à ces demandes dans des délais spécifiés. Cette disposition donne aux enfants un plus grand contrôle sur leur présence en ligne et renforce leur autonomie numérique.
Enfin, la loi du 19 février 2024 met l’accent sur la sensibilisation et l’éducation en matière de droit à l’image des enfants. Elle prévoit des campagnes de sensibilisation nationales visant à informer les parents, les enseignants et les enfants eux-mêmes sur leurs droits et responsabilités en matière d’image et de vie privée en ligne. Ces initiatives éducatives visent à renforcer la conscience collective autour de ces questions cruciales et à promouvoir des comportements responsables dans l’utilisation des médias numériques.
D’autre part, le législateur offre un rôle accru au juge judiciaire délégué aux affaires familiales, communément appelé JAF ; ce dernier peut désormais, sur saisine d’un parent ou des services sociaux en cas d’atteinte grave à la dignité ou l’intégrité morale de l’enfant, ordonner la suppression de toute image de l’enfant (art. 373-2-6 du Code civil et article 377 du Code civil). Les services sociaux pourront se voir déléguer l’exercice du droit à l’image de l’enfant en cas d’atteinte grave à la dignité ou à l’intégrité morale de l’enfant par la diffusion par ses parents d’une image.
Piste d’évolution dans la lutte contre le sharenting et pour l’effectivité du respect du droit à l’image de l’enfant
Sharenting et respect du droit à l’image de l’enfant
Si la loi n°2024-120 du 19 février 2024 permet un encadrement juridique du respect du droit à l’image de l’enfant, des pistes pourraient être explorées pour en augmenter l’effectivité.
Par exemple, si l’article 371-1 sur l’autorité parental est lu lors du mariage par l’officier d’état civil, la publicité donnée à ses dispositions pourrait être accrue auprès des nouveaux parents ou adoptants hors tout projet matrimonial.
Ou encore, de fait, il existe une différence de protection entre l’enfant dont deux parents sont titulaires de l’autorité parentale et l’enfant d’une famille monoparentale. Dans ce dernier cas, aucune balance entre les deux parents : il faudra une atteinte grave à la dignité ou à l’intégrité morale de l’enfant pour que les services sociaux puissent intervenir.
Enfin, les limitations légales et contractuelles qui s’appliquent à l’ouverture de comptes de réseaux sociaux par des mineurs, pourraient encore être renforcées pour contraindre d’avantages les acteurs du numérique dans leur devoir de protection de leurs utilisateurs mineurs.
- Microsoft, “Teens say parents share too much about them online”, Étude Microsoft, 2019.
- Cnil, Définition « Sharenting ».
- Conseil constitutionnel, Décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995.
- CEDH, Söderman c. Suède, 12 novembre 2013.
- CA Bordeaux, 4 janvier 2011, n° 09/00788.
- Cour d’appel de Versailles, 25 juin 2015, n° 13/08349.
- Cour d’appel de Versailles, 11 septembre 2003, n° 02/03372.
- Cass. 1ère civ., 27 février 2007, n° 06-10393.
Avec la collaboration d’Ethan Brulé, stagiaire, étudiant en Droit à l’Université Paris-Saclay.
Marie Soulez
Avocate, Directrice du département Propriété intellectuelle Contentieux
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