Par ordonnance du 6 septembre 2024 [1], le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille a retenu la compétence du tribunal judiciaire de Lille pour connaitre de la demande reconventionnelle en nullité de marques formée à l’encontre de marques non visées dans l’assignation en contrefaçon.
Action contre une marque : attention aux règles de competence
Nullité de marque et compétence du tribunal judiciaire
Décheance ou nullité de marque : quelle compétence ?
Dans cette affaire, Monsieur D. a été assigné en contrefaçon des marques DOMAINES DE LA TRAXENE et GITES DE LA TRAXENE.
En défense, il sollicite, la déchéance de la marque DOMAINES DE LA TRAXENE et la nullité de la marque GITES DE LA TRAXENE opposées. Allant plus loin, il demande également, de manière reconventionnelle, la nullité des marques TRAXENE, RESTAURANT DE LA TRAXENE et HOTEL DE LA TRAXENE pourtant non visées dans l’assignation.
- De manière assez logique, le demandeur soulève :
- • l’incompétence du tribunal au profit de l’INPI pour connaitre des demandes formées contre les marques non visées dans l’assignation ;
- • subsidiairement, l’irrecevabilité de ces demandes faute d’intérêt à agir.
Après avoir déclaré « l’exception d’incompétence » irrecevable en raison de sa tardivité, il se prononce néanmoins sur le bien-fondé de celle-ci. Retenant l’existence d’un lien entre les demandes et le litige en cours, le juge de la mise en état rejette tant « l’exception d’incompétence » que les fins de non-recevoir.
repartition des competences entre l'INPI et le tribunal judiciaire
Nullité de marque et compétence du tribunal judiciaire
Cette décision vient souligner la délicate application des règles de compétence en la matière.
Pour rappel, la réforme du droit des marques intervenue en 2020 a instauré un nouvel article L.716-5 du Code de la propriété intellectuelle qui opère une répartition de compétence entre les tribunaux judiciaires spécialement désignés et l’INPI, selon le fondement et le contenu de la demande en nullité ou en déchéance de la marque invoquée.
Le non-respect de ces règles de compétence emporte l’irrecevabilité d’office de la demande.
En synthèse, l’INPI est compétent pour connaître des demandes en déchéance formées à titre principal, sauf si celles-ci sont formées à titre reconventionnel, si elles sont connexes à une demande relevant de la compétence du tribunal ou lorsque des mesures probatoires, provisoires ou conservatoires sont en cours.
Répartition des compétences
Nullité de marque et compétence du tribunal judiciaire
- Concernant les demandes en nullité, l’Institut est également compétent pour connaître des demandes :
- • à l’encontre d’une marque collective ou de garantie ;
- • exclusivement fondées sur des motifs absolus.
- Les demandes en nullité fondées sur des motifs relatifs sont réparties selon le droit opposé :
- • à l’INPI les demandes fondées sur une marque antérieure, de renommée, une dénomination sociale, un nom commercial, une enseigne, une nom de domaine ou encore l’atteinte au nom de collectivités territoriales ou d’entités publiques ;
- • aux tribunaux, celles fondées sur l’atteinte à des droits d’auteur, dessin ou modèle ainsi qu’aux droits de la personnalité.
Une fois passé l’écueil de cette classification, demeure la question de l’appréciation de la « connexité ».
l’appréciation de la « connexité »
Nullité de marque et compétence du tribunal judiciaire
Les criteres d’appreciation degagés
C’est là que vient se distinguer la solution rendue par le Juge de la mise en état lillois. En effet, jusqu’à présent, les décisions rendues allaient plutôt dans le sens d’une appréciation stricte de la connexité.
Deux critères semblaient jusqu’alors principalement retenus. Le premier consiste à se placer au moment de la demande en nullité ou en déchéance et à rechercher si, à cette date, une autre demande est formée sur la marque.
C’est ainsi que la demande en déchéance formée devant l’INPI à l’encontre d’une marque fondant une action en contrefaçon déjà engagée est irrecevable [2] (INPI, DC20-0008, 10-7-2020 (FADA COLADA)).
A l’inverse, si l’action n’est pas encore engagée devant les tribunaux, le demandeur n’a « pas d’autre choix que de saisir l’Institut, dès lors que la marque contestée n’avait pas encore été invoquée dans le cadre de la demande reconventionnelle devant le juge judiciaire » [3] (INPI DC20-0054, 26-4-2022).
l'approche pragmatique de la décision rendue
Nullité de marque et compétence du tribunal judiciaire
La Compétence du tribunal sur des demandes de marques non visees
L’INPI demeure alors compétent pour connaître des demandes formées devant lui-même si les demandes formées devant le tribunal judiciaire sont connexes : celui-ci devra surseoir à statuer dans l’attente de la décision de l’Institut sur la validité ou la déchéance de la marque [4] (CA Paris, ord. CME, 30-6-2021 (YETI) et INPI, NL21-0071, 28-10-2021 (Brasserie du Mont-Blanc)).
L’admission de la compétence du tribunal pour connaître de la déchéance de la marque DOMAINES DE LA TRAXENE et la nullité de la marque GITES DE LA TRAXENE est donc logique puisque ces marques sont déjà opposées dans le cadre de l’instance en cours.
La position est cependant plus innovante en ce qu’il admet également la compétence du tribunal pour connaître de la nullité des marques non visées dans l’assignation en raison d’un lien avec le litige en cours.
S’il est vrai que les marques concernées sont proches de celles des marques opposées, elles n’en demeurent pas moins des titres distincts portant sur des signes certes similaires mais non identiques.
La prevalence de l’interet d’une bonne justice
Par cette ordonnance, le juge de la mise en état adopte une interprétation large de la notion de connexité visée par l’article L.716-5 du Code de la propriété intellectuelle privilégiant « l’intérêt d’une bonne justice ».
Si cette solution devait être confirmée, elle risque cependant de complexifier la question de l’instance compétente à partir du moment où la marque, objet de la demande en nullité n’est pas identique à celle opposée dans le cadre de l’instance judiciaire.
Il sera intéressant de voir si cette appréciation sera suivie ou demeurera isolée…
- TJ Lille, ord. JME, 6 sept. 2024, RG 23/01805.
- INPI, 10-07-2020, RG n° DC20-0008 DC20-0008, Brasserie du Castellet (FADA COLADA), inpi.fr, DC20200008.
- INPI, 26-04-2022, RG n° DC 20-0054, Yeti Coolers LLC (États-Unis) (Y YETI), inpi.fr, DC20200054
- CA Paris, Pôle 1, 5e ch., 30-06-2021, n° 2021/07410, Yetigel International SA c/ Yeti Coolers LLC SARL (États-Unis) ; inpi.fr, M20210162
- INPI, 28-10-2021, RG n° NL 21-0071 Distillerie Saint Gervais Mont-Blanc SARL / Brasserie Distillerie du Mont Blanc SAS (BRASSERIE DU MONT BLANC), inpi.fr, NL20210071.
Virginie Brunot
Avocate, Directrice du département Propriété industrielle contentieux
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