La Cour de justice européenne confirme que la pratique de ciseau tarifaire est une infraction relevant de l’abus de position dominante. Dans un arrêt du 14 octobre 2010, elle a confirmé la condamnation de Deutsche Telekom pour abus de position dominante. En raison, sa pratique dite de ciseau tarifaire relevée sur le marché des télécommunications (1).
La pratique de ciseau tarifaire
La Cour de Justice affirme que la pratique en cause est une infraction en soi aux règles édictées par l’article 82 du Traité (devenu article 102 du TFUE). Cette pratique vient de la compression des marges des concurrents entre les prix de gros et de détail fixés par l’opérateur. Elle, revêt en effet un caractère non équitable.
Par conséquent, il n’est pas nécessaire de démontrer le caractère excessif ou prédateur des prix de gros et de détail. Ainsi, le Tribunal n’avait pas à établir que « les prix de gros des services intermédiaires d’accès à la boucle locale ou des prix de détail pour les services d’accès aux abonnés étaient en eux-mêmes abusifs, en raison, selon le cas, de leur caractère excessif ou prédateur ».
Cette décision intervient alors même que les tarifs pratiqués par la société en cause faisaient l’objet :
- d’une fixation en amont par une autorité de régulation, la RegTP, et
- d’une validation des prix en aval, fixés par la société.
En effet, malgré la fixation des prix de gros, en amont, par le régulateur, Deutsche Telekom bénéficiait d’une marge de manœuvre suffisante dans son rôle de fixation des prix en aval pour que la pratique en cause lui reste imputable.
Enfin, la Cour de Justice fait sienne l’analyse du Tribunal. Pour considérer la pratique comme constituée, ce dernier avait utilisé le critère de « concurrent aussi efficace ». Ce critère permet :
- d’examiner les pratiques tarifaires de l’entreprise dominante afin
- de déterminer l’existence de risques d’éviction du marché d’un opérateur économique aussi performant que la société Deutsche Telekom,
- en se fondant sur les tarifs et les coûts de cette dernière, et non sur une situation spécifique d’un concurrent.
Ce raisonnement in abstracto permet, toujours selon la Cour de Justice, d’assurer une sécurité juridique supplémentaire, dans la mesure où l’opérateur en position dominante peut ainsi apprécier la légalité de son comportement en fonction de ses coûts, et non pas en fonction d’un concurrent déterminé.
Quelle est la sanction ?
La sanction est également confirmée. La société Deutsche Telekom est donc condamnée à une amende de 12,6 millions d’euros. Cependant, la Cour, dans un arrêt « Konkurrensverket contre TeliaSonera AB » (2), a nuancé son approche. Les faits de cette affaire étaient, par ailleurs, quelque peu différents. Si la Cour rappelle le principe de l’appréciation basée sur le critère d’un « concurrent aussi efficace », elle ajoute que l’analyse menée en fonction des coûts supportés par des concurrents peut être pertinente :
- dès lors que la structure des coûts de l’entreprise dominante n’est pas précisément identifiable pour des raisons objectives ;
- ou lorsque la prestation rendue aux concurrents consiste en la simple exploitation d’une infrastructure, dont le coût de production est déjà amorti et dont l’exploitation est, par conséquent, sans impact financier pour l’acteur dominant, alors qu’elle représente un coût pour les concurrents.
(1) CJUE 14-10-2010 aff C-280/08 Deutsche Telekom AG c./ Commission européenne et autres
(2) CJUE 17-2-2011 aff. C-52/09 Konkurrensverket c./ TeliaSonera AB