Une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines a été approuvée de manière informelle par les représentants du Parlement européen et du Conseil le mercredi 6 juin 2012.
Une proposition de directive
Ce projet s’inscrit dans la perspective de création de bibliothèque numérique nationale et européenne participant ainsi à la conservation et à la diffusion du patrimoine culturel européen (1).
Les dispositions approuvées permettent aux institutions publiques, telles que les « bibliothèques, musées, archives, établissements d’enseignement, institutions dépositaires du patrimoine cinématographique et organismes de radiodiffusion de service public », de mettre à disposition du public, à titre non lucratif, les œuvres orphelines et notamment de les numériser. Une condition est toutefois posée à cette exploitation des œuvres orphelines : une recherche diligente faite de bonne foi n’ayant pas permis d’identifier ou de localiser le titulaire des droits doit avoir été menée par l’institution.
Le texte précise la notion de « recherche diligente » et indique aux Etats membres la démarche à suivre (2). Cette recherche devrait comporter une consultation des bases de données publiquement accessibles qui contiennent des informations sur les droits d’auteur attachés aux œuvres. Les résultats des recherches menées doivent ensuite être enregistrés dans une base de données publiquement accessible en Europe et ce afin d’éviter les numérisations multiples.
La proposition prévoit également que le titulaire de droits doit pouvoir mettre fin à l’exploitation de son œuvre et demander une indemnisation pour l’utilisation de son œuvre. Compte tenu de l’absence de finalité commerciale et de l’évaluation du montant de l’indemnisation au regard du dommage réel causé au titulaire de droits, les sommes allouées aux auteurs devraient être relativement peu élevées.
Ce texte doit encore recevoir l’approbation finale de la commission des affaires juridiques, du Parlement dans son ensemble et du Conseil, avant d’être transposé par les Etats membres. Si la législation évolue pour l’exploitation par les personnes publiques des œuvres orphelines, le régime antérieur reste applicable aux personnes privées.
La suite au prochain épisode…
Le paradoxe des œuvres orphelines
Par principe, l’exploitation d’une œuvre requiert le consentement préalable de son auteur. Or, une œuvre orpheline est une œuvre dont l’auteur ou les ayants droit ne sont pas connus ou pas localisables. Comment alors obtenir les droits d’exploitation ? Le propriétaire d’une œuvre, dont les recherches pour identifier son auteur se sont avérées infructueuses, doit-il être considéré comme un vulgaire contrefacteur en cas d’exploitation ?
Le droit a longtemps ignoré cette situation, ne proposant pas de solutions acceptables au regard tant des principes essentiels de la propriété littéraire et artistique que de la nécessaire protection des propriétaires d’œuvres orphelines diligents. Pourtant, les enjeux de l’œuvre orpheline sont multiples, culturels, juridiques, économiques et importants au regard de l’évolution des techniques, de la multiplication des bibliothèques numériques et de l’accès électronique à une multitude d’œuvres.
Désireux de solutionner la problématique de l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle, le législateur est venu par une loi du 1er mars 2012 (3), donner une définition de la notion d’œuvre orpheline (« l’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses ») et organiser un régime spécifique à cette catégorie d’œuvres. En revanche, le sort des autres œuvres orphelines, photographies, films, arts graphiques, etc. n’est toujours pas réglé.
Une proposition de loi du 12 mai 2010 déposée devant le Sénat envisageait la création d’une société civile de perception et de répartition des droits d’auteur chargée de la gestion et de l’exploitation des droits des « œuvres visuelles orphelines ». Cette proposition est aujourd’hui restée lettre morte (4).
Au niveau européen, une proposition de directive sur certaines autorisations d’exploitation des œuvres orphelines a été déposée le 24 mai 2011. Cette proposition prévoit qu’une fois le statut d’œuvre orpheline reconnu, les bibliothèques ou encore les musées pourront numériser et mettre en ligne les œuvres. Son examen et son adoption sont à suivre.
Les propositions et solutions sont également nombreuses à l’étranger, certains prévoyant un système de gestion collective, d’autres un mécanisme de licence. On voit que si des solutions existent, elles sont encore loin de faire l’unanimité. L’exploitation des œuvres orphelines autres que les livres indisponibles du XXème siècle n’est donc toujours pas sécurisée juridiquement et exige de mener au cas par cas une analyse des risques, lesquels sont notamment fonction de la nature et de l’ampleur de l’exploitation envisagée.
Laurence Tellier-Loniewski
(1) Communiqué de presse de la Commission des affaires juridiques du 6-6-2012
(2) Rapport sur la proposition de directive UE sur les oeuvres orphelines
(3) Loi n°2012-287 du 1-3-2012
(4) Assemblée nationale, Dossier législatif