Droit du producteur de bases de données et réutilisation des archives. Le Tribunal administratif de Poitiers vient de rendre une décision (1) remarquée en refusant d’annuler une délibération du conseil général de la Vienne fixant de manière restrictive les conditions de réutilisation par des tiers des archives publiques départementales, et ce sur le fondement du droit du producteur de bases de données.
Délibération. La délibération en question (2) ne permettait que la consultation sur place des archives départementales, et n’autorisait la cession des fichiers numérisés de certains fonds d’archives publiques que lorsqu’une telle cession était nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, qu’elle était gratuite et effectuée dans le cadre d’une convention précisant les limites de la réutilisation.
Loi du 17 juillet 1978. La société Notrefamille.com, qui exploite un site commercial de généalogie, estimait que ces règles restrictives contrevenaient à la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, dont l’article 10 a instauré un véritable droit de réutilisation des informations publiques (3), en ce qu’elles faisaient obstacle à son projet (lequel consistait à exporter les données numérisées selon des « techniques d’aspiration des données à partir du site internet du département » pour les intégrer à ses bases de données). Elle soutenait encore qu’il n’existait aucun motif d’intérêt général, au sens de l’article 16 de la loi de 1978, de nature à justifier les restrictions. Elle avait en conséquence déposé une requête en annulation de cette délibération.
Cada. La Cada (Commission d’accès aux documents administratif) s’est prononcée à plusieurs reprises (4) dans un sens favorable à la position soutenue par la société Notrefamille.com, ce dont celle-ci n’a pas manqué de se prévaloir. La société Notrefamille.com a toutefois connu un premier revers du fait d’une décision rendue en juillet 2012 par la cour administrative d’appel sur le fondement de la loi Informatique et libertés.
Droit du producteur de bases de données. C’est sur un tout autre terrain que le tribunal administratif de Poitiers s’est placé pour refuser de faire droit à la requête de la société Notrefamille.com. Le tribunal a estimé en effet que le conseil général avait la qualité de producteur de base de données au visa des articles L. 342-1 et suivants du Code la propriété intellectuelle à raison des investissements substantiels qu’il avait engagés dans la création des fichiers numérisés (relevant notamment que la numérisation des documents d’archives avait duré huit années). Le droit du producteur de bases de données s’applique à la situation.
Il en a déduit que « c’est, bon droit, que le département s’est prévalu, en qualité de producteur de bases de données, de la protection prévue par les dispositions précitées de l’article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle ; que si, comme le fait valoir la société requérante, les dispositions du 2° de cet article précisent que le droit du producteur de bases de données peut faire l’objet d’une licence, elles n’imposent pas au producteur de délivrer cette licence ».
Droit des tiers. Le raisonnement a de quoi surprendre. S’il est vrai que l’existence d’un droit de propriété intellectuelle est de nature à faire obstacle à la libre réutilisation des données détenues par les personnes publiques, il s’agit du droit des tiers (5), et non de celui de la personne détentrice des données en cause. Celle-ci ne saurait en effet opposer son propre droit de propriété intellectuelle pour faire échec aux demandes de réutilisation d’informations publiques couvertes par un tel droit.
Licence. Il lui est en revanche loisible de conditionner la réutilisation (notamment à des fins commerciales) des informations protégées par un droit de propriété intellectuelle au paiement de redevances, dont le montant peut précisément tenir compte du droit du producteur de bases.
Ainsi, la position du Tribunal selon laquelle rien n’oblige le producteur de base de données à consentir une licence paraît discutable lorsque le producteur en question est le détenteur d’informations publiques.
Format. L’argument selon lequel il reste possible de réutiliser les données contenues dans documents d’origine n’est guère plus convaincant : si une administration ne peut être contrainte à fournir les informations publiques dans un format dont elle ne dispose pas, elle a l’obligation de délivrer une copie de ses données sur un support identique à celui qu’elle utilise (6).
Services culturels. Sans doute le statut spécifique du service d’archives départementales a-t-il justifié la position du Tribunal de Poitiers. La Cada a en effet estimé dans un avis n°20082643 du 31 juillet 2008 que les services d’archives départementales relèvent de la catégorie des services culturels. Or la loi autorise expressément les services culturels à fixer les conditions de réutilisation de leurs informations publiques selon leurs propres règles et par dérogation au droit commun (7).
Impact. Si la solution rendue par le Tribunal de Poitiers devait se généraliser à toutes les administrations, l’impact en serait considérable car il est fréquent que les administrations engagent des investissements importants pour numériser leurs données et les structurer en bases de données. Les évolutions de cette jurisprudence méritent ainsi d’être suivis avec la plus grand attention.
(1) TA Poitiers du 31-1-2013
(2) Délibération du Conseil général du Département de la Vienne du 18-12-2009
(3) L’article 10 de la loi du 17 juillet 1978 dispose : « Les informations mentionnées dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er, quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus ».
(4) Cada, Avis n° 20092427 du 16-7-2009 et avis n° 20100691 du 25-3-2010 et avis n° 201100695 de 2011
(5) « Ne sont pas considérées comme des informations publiques, pour l’application du présent chapitre, les informations contenues dans des documents : / (…) c) Ou sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle. / (…) »
(6) L’article 4 de la loi du 17 juillet 1978 prévoit dans son que l’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration (…) sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret(..).
(7) L’article 11 de la loi du 17 juillet 1978 précise : « Par dérogation au présent chapitre, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées sont fixées, le cas échéant, par les administrations mentionnées aux a et b du présent article lorsqu’elles figurent dans des documents produits ou reçus par : / a) Des établissements et institutions d’enseignement et de recherche ; / b) Des établissements, organismes ou services culturels ».