Loi Evin – Après une période d’accalmie sur le plan judiciaire, l’actualité se trouve soudain marquée par deux nouvelles décisions relatives à l’application de la loi Evin. La plus récente est un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 3 juillet 2013 (1), qui rejette le pourvoi formé par la SA Ricard à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait jugé illicite la campagne titrant « Un Ricard des rencontres ». Elle fait l’objet d’un commentaire dans notre Blog tendances sous l’intitulé « La publicité intrusive dans le domaine des boissons alcooliques ».
L’autre décision a été prononcée le 23 mai 2013 par le Tribunal de grande instance de Paris (2) et concerne deux annonces publicitaires parues en faveur du champagne de la marque Tsarine dans le journal Le Monde du 28 février 2011, et une communication en relation avec ces annonces sur le site internet de l’annonceur.
Les condamnations
Les promoteurs de cette campagne – l’annonceur, son agence de communication et le support- ont été condamnés à verser à l’ANPAA des dommages et intérêts qui se caractérisent par leur mode de calcul et leur montant. Les dommages et intérêts alloués à l’ANPAA pour la parution unique des deux annonces dans le journal Le Monde s’élèvent à la somme de 15 000 euros, qui correspond au coût de l’espace acquis par l’annonceur auprès du support. L’avertissement est à prendre au sérieux et l’importance du plan média d’une campagne doit donc être dorénavant pris en considération dans l’évaluation des risques encourus dans ce secteur particulier.
Les pages du site Internet ont donné lieu à l’allocation à l’ANPAA d’une somme de 8 000 euros à tire de dommages et intérêts, fixée en considération du fait que cette diffusion, dont la durée n’a pas été précisée, « a touché un public plus ciblé d’amateurs et clients potentiels ayant eux-mêmes pris l’initiative de consulter ce site ».
La campagne
La première des deux annonces presse représentait une bouteille de champagne Tsarine sur un fond neutre, désignée par la mention « Fournisseur Officiel » figurant sous la mention César Académie des Arts et Techniques du Cinéma, illustrée par la statuette remise aux gagnants de ce prix. La seconde annonce représentait également, sur toute sa partie droite, une bouteille de champagne Tsarine et une liste faisant référence aux catégories des nominés au meilleur film, meilleur acteur, etc., au milieu de laquelle apparaissait la mention « meilleur champagne » désignant le produit de l’annonceur.
Le site internet représentait la bouteille de champagne Tsarine accompagnée de la mention « signe extérieur de richesse intérieure » et comportait, sous une rubrique consacrée à l’actualité du cinéma, une invitation à « retrouver les champagnes Tsarine dans les films » en consultant un défilé d’affiches de films.
L’analyse du tribunal
Après avoir rappelé les termes de l’article L 3323-4 du Code de la santé publique, le tribunal a déclaré qu’« il suffit que la publicité mette en valeur une boisson alcoolisée en dépassant le cadre autorisé par la loi Evin et l’article précité, notamment en l’associant à un contexte festif ou à des personnalités valorisantes, pour que l’infraction aux dispositions légales soit constituée ».
L’association d’une marque de champagne à la cérémonie des Césars et aux meilleurs acteurs et personnalités du cinéma a donc été considérée comme un exemple d’infraction à ce texte. Le titre de « fournisseur officiel » de l’Académie des Césars n’a pas suffi à justifier la présentation, pourtant épurée pour l’une et humoristique pour l’autre, de ces annonces sur le fondement de l’article L 3323-4 en cause, qui autorise « les références (…) aux distinctions obtenues ».
Cette autorisation aurait pourtant pu être utilisée pour valider ces annonces, à tout le moins la première, dans la mesure où le texte ne définit pas cette notion de « distinctions obtenues », ce qui permet d’en déduire que la sélection d’une marque de champagne par un organisme constitue une distinction, obtenue au terme d’un appel d’offres.
Ces annonces ne comportaient par ailleurs aucune référence à des personnalités déterminées et leur présentation était d’une sobriété qui contraste avec les fastes inhérents au monde du cinéma, tels qu’ils sont déployés lors des cérémonies annuelles de remises de prix.
Ces considérations auraient pu, à tout le moins, dissuader l’ANPAA d’engager des poursuites judiciaires à raison de ces annonces, mais le fait qu’elles n’ont pas eu cet effet démontre l’importance que représentent pour elle les associations d’idées entre les boissons alcooliques et les univers dominés par des personnalités, même si elles ne sont ni dénommées, ni représentées.
Il est vrai que l’association de certaines marques d’alcool particulièrement prisées par un jeune public à des sportifs de haut niveau dénommés et mis en scène sur des sites internet dédiés à l‘opération n’a pas été critiquée, ce qui est surprenant, au vu des principes invoqués au soutien des actions judiciaires engagées à l’encontre de producteurs de vins français.
Ces principes doivent néanmoins être pris en considération, quitte à les combattre quand ils vont au-delà des exigences du législateur.
Tel est, à notre sens, le cas lorsque l’ANPAA déclare que « les seules distinctions officielles du champagne Tsarine sont énumérées sur son site à la rubrique « actualités et récompenses » et consistent en étoiles et médailles décernées par un guide des vins et lors de concours ».
Il convient en effet d’observer que l’article L 3323-4 ne réduit pas les « distinctions obtenues » à celles qui sont délivrées par la profession, pas plus qu’il ne définit la notion de « profession » ou les personnes qui sont aptes à délivrer ces « distinctions ».
Tout débat sur ce point n’est donc pas clôt et il serait utile de le poursuivre devant la Cour d’appel de Paris, en lui posant clairement la question du bien fondé d’un jugement reposant sur une interprétation d’une notion, en l’occurrence celle de « distinctions obtenues », visée dans un texte de loi qui ne prévoit aucune disposition visant à la restreindre à des hypothèses clairement déterminées. La réponse à cette question conditionne l’appréciation de la légalité des autres éléments de ces annonces, puisqu’ils illustrent la référence à la distinction obtenue par le champagne de la marque Tsarine et son producteur.
Les suites possibles de cette procédure doivent donc être suivies avec attention.
Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit des médias
(1) Cass. 1e civ. n° 12-22633, 3-7-2013.
(2) TGI Paris 23-5-2013