Archive Interview JT 29

Interview

Gérard Lefranc,

THALES Intellectual Property(*)

La guerre des logiciels libres n’aura pas lieu…

Serait-il utile d’avoir une harmonisation dans les modèles de licence, voire d’une traduction?

Aujourd’hui il existe 5 à 6 « licences types » qui couvrent 50 % des open sources du marché et on peut quasiment dire que chacun des open sources constituant les 50 % restant possède sa propre licence spécifique. Dans ce contexte une licence en langue française pour les utilisateurs francophones peut sembler intéressante. D’importants labos français de recherche en informatique travaillent d’ailleurs ensemble à mettre sur pied une licence open source de type GPL (General Public License) en français, mais le problème va bien au-delà d’une simple « traduction », il concerne le droit européen. Il serait toutefois illusoire de croire que, compte tenu du marché mondial des open sources, des utilisateurs non francophones se lancent dans l’utilisation, l’amélioration ou la diffusion d’open sources dotés d’une licence écrite uniquement en français. Par contre, je pense qu’il y aurait un rapprochement utile à faire avec la Free Software Foundation, organisme qui est le référent dans le domaine de l’open source et avec lequel il faudrait avoir des discussions sur la transposition d’une licence GPL en français. Enfin, si l’on arrivait à simplifier et à se limiter à quelques grandes familles de « licences types » qui n’évolueraient pas à chaque version d’open sources, on y gagnerait facilement en clarté.

Qu-est-ce qui motive une société comme la votre à recourir aux logiciels libres ?

THALES développe des systèmes de défense, des systèmes aéronautiques et des systèmes liés au traitement des technologies de l’information et de la communication et notamment des systèmes de sécurité. Les logiciels représentent une part prépondérante de ces activités. Je suis en charge de la protection des logiciels du Groupe au sein de THALES Intellectual Property qui représente une cinquantaine de personnes. Nous recourons au libre à la fois pour un usage interne et pour les logiciels livrés aux clients qui nous le demandent. Par ailleurs nous en développons aussi dans le cadre de coopération avec des labos ou avec d’autres partenaires industriels. Les motivations de ce recours au libre sont différentes selon le type de logiciels. Nous trouvons par exemple de nombreux « outils » Java dans le monde du libre qui n’ont pas d’équivalent dans le monde des progiciels. Pour des logiciels libres plus importants, des middlewares par exemple, les motivations sont à la fois un gain de temps de développement et la certitude d’une réelle qualité. Un réseau de diffuseurs s’appuyant sur des sociétés de services en logiciels libres (SSLL) assurent, en collaboration avec nos équipes, les nécessaires adaptations de ces logiciels. Quoiqu’il en soit, nous indiquons toujours dans les produits que nous livrons, l’utilisation éventuelle d’open sources afin de respecter les termes des licences. Par ailleurs, nous avons dans nos domaines, l’obligation de maintenir nos produits pendant des périodes de 20 à 30 ans, il est donc fondamental de savoir « gérer en configurations » les open sources au même titre que les autres logiciels. A ce titre, nous avons mis en place une bibliothèque des open sources autorisés et utilisés dans le Groupe.

Les logiciels libres sont-ils réellement incompatibles avec une protection par le brevet ?

Je pense que c’est un faux débat que d’opposer brevet et logiciel libre. S’il y a une invention au sens des critères de l’OEB, elle est brevetable. Quant à la crainte des partisans du logiciel libre, d’être contrefacteur sans le savoir, elle me semble particulièrement exagérée. L’exemple des Etats-Unis est à ce titre très intéressant, c’est là où il y a le plus de brevets de logiciel déposés et c’est aussi là où le monde des open sources est le plus florissant sans qu’il n’y ait de conflit particulier entre les deux. La question qu’il serait intéressant de se poser, est de savoir quel est le statut du logiciel libre par rapport aux droits d’auteur et pas vraiment par rapport au brevet.

Interview réalisée par Isabelle Pottier

isabelle-pottier@lexing.law

Paru dans la JTIT n°29/2004 p.10

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