Diffamation publique. Un administré mécontent avait affiché sur la vitre passager de sa camionnette un tract contenant les propos suivants : « le maire, déclare qu’elle ne fera pas appliquer les lois contre les nuisances sonores et si elle le fait ce sera sur tout le village et cela aura des répercussions économiques ».
Le véhicule en question étant stationné sur la voie publique et devant les locaux de la mairie, l’affichette était donc parfaitement visible par le public, les passants étant par ailleurs attirés par une représentation de la scène de crime, occupant tout un côté de la camionnette. Le caractère public des propos était donc établi aux regards des critères relatifs à la diffamation publique (1).
La maire de la commune a alors déposé une plainte avec constitution de partie civile en diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public.
Le prévenu avait invoqué les exceptions de vérité et de bonne foi.
Concernant l’exception de bonne foi, la Cour de cassation rappelle de manière classique que le juge ne peut subordonner « la bonne foi à la preuve de la vérité des faits ».
Mais l’intérêt majeur de cet arrêt réside dans la confrontation qui est faite entre la diffamation publique et la notion de « sujet d’intérêt général ». En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle qu’ « en matière de diffamation, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l’écrit qui les renferme, et ce sous le contrôle de la Cour de cassation qui peut se reporter à l’écrit lui-même afin de vérifier s’il contient les éléments de l’infraction ».
En l’espèce, la Cour de cassation relève que « l’imputation faite à [la maire] de « déclarer qu’elle ne ferait pas appliquer la loi sur les nuisances sonores et que si elle le faisait, ce serait sur tout le village et cela aurait des répercussions économiques » s’inscrivait dans l’exercice d’un droit de critique mesuré et circonstancié d’un administré envers un élu, dans le cadre d’un débat d’intérêt général relatif à l’action de l’intéressée en matière de qualité de l’environnement dans laquelle s’inscrivent les nuisances sonores, et dont il était établi par les pièces versées aux débats qu’elle s’était, notamment, en sa qualité de maire, refusée en dépit de deux rapports des autorités administratives compétentes en matière de santé publique, à user de ses pouvoirs de police générale et spéciale à l’effet de mettre fin aux nuisances sonores générées par deux installations sportives et de loisirs sur le territoire de la commune ». Elle casse ainsi l’arrêt de la cour d’appel qui, « pour relever le caractère diffamatoire des propos poursuivis et refuser le bénéfice de la bonne foi à leur auteur, n’a pas tenu compte de ces circonstances extrinsèques à l’écrit incriminé dont il résultait que le sujet d’intérêt général traité autorisait les propos et les imputations litigieux ».
Cet arrêt est une nouvelle démonstration de ce que la rigueur dans l’appréciation des critères de la bonne foi est infléchie lorsque les propos litigieux interviennent dans le cadre d’un sujet « d’intérêt général ».
Suivant la jurisprudence européenne, fondée sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation considère que la poursuite d’un objectif d’information générale, de réflexion ou de débat sur un sujet d’intérêt général, permet d’augmenter le seuil de tolérance de la liberté d’expression, et d’atténuer la sévérité dans l’appréciation du caractère prudent ou non des imputations diffamatoires.
Virginie Bensoussan-Brulé
Chloé Legris
Lexing Droit pénal numérique
(1) Sur la diffamation publique, voir les articles 29, 31 et 35 de la loi du 29 juillet 1881