Contrefaçon – L’internet des objets (IdO) est promis à un bel avenir ouvrant le champ des possibles en matière de lutte contre la contrefaçon, qu’il s’agisse de produits brevetés ou marqués.
Tout à la fois objet de protection et instrument de protection, l’IdO apparait comme un vaste terrain de réflexion en matière de propriété intellectuelle, soulevant de multiples problématiques tant techniques que juridiques ou économiques.
En effet, lui-même objet de lourds investissements en matière de R&D, l’objet connecté est susceptible de faire l’objet d’une protection au titre de la propriété intellectuelle.
L’IdO, instrument de lutte contre la contrefaçon – Le premier lien avec la propriété intellectuelle réside, bien évidemment dans l’utilisation de l’objet connecté comme instrument de traçabilité et d’authentification du produit marqué.
A cet égard, le développement des étiquettes RFID apparait comme un instrument naturel de lutte contre la contrefaçon : apposée ou intégrée au produit marqué, l’étiquette RFID présente en effet de nombreux avantages en matière de lutte contre la contrefaçon en permettant d’y intégrer nombre d’information permettant de s’assurer de l’identification, l’origine et finalement de l’authenticité des produits sur un support de taille minimale.
Dans le même ordre d’idée, l’étiquette graphique de type Flashcode™ (1), constituée d’un ensemble de pictogrammes décodables par un téléphone mobile disposant du lecteur ad hoc, apparait comme un outil d’identification des produits marqués.
C’est dans ce cadre que le député Jégo proposait, dans son rapport sur « La traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi », d’inscrire dans la loi, la mise en place d’une carte d’identité des produits permettant de certifier son origine afin de lutter contre le phénomène de contrefaçon (2).
Si cette proposition n’a pas abouti à ce jour, les radio-étiquettes sont largement utilisées pour les produits sujets à de nombreux vols ou contrefaçon tels les CD et DVD ou les produits de luxe et ces technologies semblent promises à un bel avenir : du béton intégrant des puces RFID encapsulées au médicament doté d’un code-barres à microparticules, aucun type de produit, comestible ou non, ne semble pouvoir échapper à l’exigence de tracabilité.
Indépendamment des problématiques juridiques liées à la gestion des données personnelles ou au droit de la santé notamment, ces technologies permettent, au plan du droit de la propriété intellectuelle, de renforcer, sinon d’assurer l’identification d’origine du produit ce qui est précisément l’objet même…de la marque, définie comme un signe « servant à distinguer les produits ou services d’une personne » (CPI art. L711-1).
L’IdO substitut de la marque comme identifiant d’origine ? Poussé à l’ extrême, le succès de l’IdO comme instrument d’authentification du produit conduirait donc à délester la marque de sa fonction juridique essentielle pour la réduire à un simple objet de marketing.
Le raisonnement ne doit sans doute pas être poussé jusque-là. D’une part parce que, même si les technologies sans contact telles que la RFID sont de plus en plus accessibles au public, la marque demeure, contrairement à l’information contenue sur l’étiquette RFID, le signe immédiatement visible du consommateur. D’autre part, parce que le coût d’une telle étiquette – notamment lorsque celle-ci est dotée de puces complexes destinées à augmenter la sécurité du système d’authentification (par cryptographie, par exemple), limitent son champ d’application aux secteurs économiques dans lesquels un tel coût apparaît justifié.
Enfin parce que, si la technologie vient au secours du signe distinctif dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon, elle en devient également la victime : c’est ainsi que, parallèlement à la démocratisation des systèmes de radio-étiquetage, se développe un nouveau marché noir : celui du trafic d’emballages vides ou d’étiquettes permettant d’introduire sur le marché, des produits contrefaits reconditionnés dans un emballage ou associé à une étiquette originale.
L’IdO, sujet de propriété intellectuelle – Aussi, l’objet connecté doit-il également être appréhendé comme objet de protection par la propriété intellectuelle : l’extension de l’internet aux objets est elle-même susceptible de faire l’objet d’une protection au titre de la propriété intellectuelle tant dans sa formalisation technique, que dans son apparence ou son identification.
Protection de la technique – Si les technologies « classiques » telles que les puces passives se voient d’ores et déjà dépassées par le marché de la contrefaçon, de nouvelles technologies et, notamment les puces dites actives, c’est-à-dire les puces électroniques permettant de transmettre et recevoir des informations en permanence, peuvent apparaitre comme des solutions de protection renforcées.
Dans ce cadre, la solution mise en place pourra faire l’objet d’une protection au plan technique, soit par le biais de la protection accordée au logiciel par le droit d’auteur, soit par la protection des brevets (sur ce point voir « Internet des objets et brevet », Laurence Tellier-Loniewski).
Protection de l’apparence – L’apparence elle-même de l’objet connecté est susceptible de protection, par le biais du droit d’auteur classique mais également par le biais de la marque ou encore des dessins et modèles. Un exemple topique est sans doute celui du plus célèbre « objet connecté », Nabaztag, protégé à titre de marque et de modèle ou encore de « sa petite sœur » Mother, protégée au titre du droit des marques.
Protection de la désignation – Enfin la désignation elle-même est susceptible de faire l’objet d’une protection au titre du droit des marques notamment. Certaines entités ne s’y sont pas trompées et d’ores et déjà l’on voit fleurir les marques identifiant les technologies mises en œuvre dans le cadre de l’IdO. Ainsi RFI est une marque protégée pour désigner les identifiants électroniques et plus particulièrement les « étiquettes électroniques permettant l’identification par radio fréquence d’objets afin d’en assurer le suivi et la traçabilité ».
De même, la dénomination « flashcode » pour identifier, entre autres, des services de transmission de données sur un téléphone mobile est protégée à titre de marque.
Cette politique d’occupation ne va pas sans poser certaines difficultés au plan juridique. Indépendamment des cas de dépôt de marque frauduleux ou destinés à empêcher la concurrence d’utiliser un signe nécessaire à l’exercice de son activité sauf à en monnayer l’usage (3), le dépôt d’une marque identifiant une technologie présente certains risques (4).
En effet, l’adoption d’un signe identifiant une technologie n’échappe pas à l’exigence de distinctivité du signe lors de son dépôt. C’est ainsi qu’ont été annulées par le passé les marques TEXTO pour désigner des services de messagerie écrite par téléphone (5) ou encore ARVA pour désigner des appareils de détection et de localisation de personnes ensevelies (6).
De même, à considérer que la marque soit distinctive au moment de son dépôt, le succès même de la technologie qu’elle désigne pourrait aisément conduire à la dégénérescence de la marque, le signe perdant alors sa fonction d’identification d’origine pour devenir le nom commun de ladite technologie.
Dans ce cas et sauf à démontrer que la dégénérescence n’est pas le fait du titulaire, la marque pourra faire l’objet d’une déchéance au visa de l’article L714-6 du Code de la propriété intellectuelle (7).
De la même manière et dans la mesure où la marque correspond également à une norme, se pose la difficulté de distinguer l’usage du signe pour identifier la marque – susceptible de protection et d’action en contrefaçon – de l’usage du signe pour identifier la norme – autorisé pour autant que les produits ou services concernés respectent la norme en question.
Une telle situation s’est déjà produite par le passé, notamment au regard de l’utilisation du signe « NF » correspondant tout à la fois à une marque protégée par l’Association française de normalisation et dont l’utilisation suppose l’autorisation de l’Afnor et aux initiales de la « norme française » applicable au marquage de produits ou services répondant aux normes nationales (8).
Virginie Brunot
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) FLASHCODE est une marque déposée par l’Association Française du Multimédia Mobile.
(2) Rapport Yves Jego, « En finir avec la mondialisation anonyme. La traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi », mai 2010.
(3) TGI Paris, ch.3 sect.1, RG n°08/15915, 24-3-2009, source INPI (marque emailing).
(4) TGI Paris, ch.3 sect.2, RG n°11/03287, 6-7-2012, source INPI (marque lightgraff).
(5) CA Paris, Pôle 5 ch.1, RG n°08-02816, 23-9-2009 ; CA Paris, Pôle 5 ch.2, RG n°08-02192, 9-10-2009, source INPI.
(6) TGI Lyon, ch.10, 15-7-2008, source INPI.
(7) TGI Paris , Ch.3 sect.1, RG n° 2007/11778, 2-6-2009 (marque exoglass) ; TGI Paris, ch.3 sect.3, RG n°10/09293, 27-1-2012, (marque fax2mail), source INPI.
(8) Cass. Com. pourvoi n°09-14436, 4-5-2010.