Un maître d’hôtel indélicat avait placé dans la salle de réunions de l’hôtel particulier de sa propriétaire un appareil enregistreur destiné à enregistrer les conversations qu’elle entretenait notamment avec son gestionnaire de fortune.
Ces propos ayant été retranscrits dans plusieurs articles publiés sur le site internet de Médiapart, le gestionnaire de fortune a assigné en référé la société Médiapart ainsi que les auteurs des articles dans lesquels étaient retranscrits les propos le concernant.
Il invoquait le trouble manifestement illicite au regard des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal, qui répriment l’atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée, notamment « en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » pour l’article 226-1 du Code pénal et « le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser, de quelque manière que ce soit, tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 » pour l’article 226-2.
Le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté les demandes du gestionnaire de fortune par ordonnance de référé du 1er juillet 2010 estimant que ces documents contenaient « des informations légitimes et intéressant l’intérêt général ». Cette ordonnance a été confirmée par la Cour d’appel de Paris par arrêt du 23 juillet 2010.
La Cour de cassation avait censuré cette décision par un arrêt du 6 octobre 2011 et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles. La Cour d’appel de Versailles s’est prononcée en faveur du gestionnaire de fortune par arrêt du 4 juillet 2013, qui a à nouveau fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
C’est dans ces circonstances que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur cette affaire dans un arrêt du 2 juillet 2014 et a confirmé la solution dégagée par la Cour d’appel de Versailles en considérant que :
- « les constatations de l’arrêt établissent que, quels qu’aient été les intitulés médiatiques qui les présentaient, les propos publiés, issus de captations sanctionnées par l’article 226-2 du code pénal, texte de droit commun, opérées au domicile de Mme Z…, à son insu et pendant un an, puis diffusées sans son consentement, et en pleine connaissance de leur provenance, étaient, en outre, relatives tant à des utilisations qu’elle décidait de sa fortune qu’à des sentiments, jugements de valeur et attentes personnelles de M. C… à son endroit ; que la cour d’appel a ainsi caractérisé l’atteinte à l’intimité de la vie privée de M. C… et de Mme Z…, la conscience du caractère délictueux des agissements litigieux, et le trouble manifestement illicite qui en résultait » ;
- « l’arrêt, après avoir rappelé que l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que la liberté de recevoir et communiquer des informations peut être soumise à des restrictions prévues par la loi et nécessaires, dans une société démocratique, à la protection des droits d’autrui afin d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles, retient exactement qu’il en va particulièrement ainsi du droit au respect de la vie privée, lui-même expressément affirmé par l’article 8 de la même Convention, lequel, en outre, étend sa protection au domicile de chacun ; qu’il s’ensuit que, si, dans une telle société, et pour garantir cet objectif, la loi pénale prohibe et sanctionne le fait d’y porter volontairement atteinte, au moyen d’un procédé de captation, sans le consentement de leur auteur, de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, comme de les faire connaître du public, le recours à ces derniers procédés constitue un trouble manifestement illicite, que ne sauraient justifier la liberté de la presse ou sa contribution alléguée à un débat d’intérêt général, ni la préoccupation de crédibiliser particulièrement une information, au demeurant susceptible d’être établie par un travail d’investigation et d’analyse couvert par le secret des sources journalistiques, la sanction par le retrait et l’interdiction ultérieure de nouvelle publication des écoutes étant adaptée et proportionnée à l’infraction commise, peu important, enfin, que leur contenu, révélé par la seule initiative délibérée et illicite d’un organe de presse de les publier, ait été ultérieurement repris par d’autres ».
La Cour de cassation a donc ainsi dégagé deux principes :
- les écoutes dont avaient fait l’objet la propriétaire de l’hôtel particulier et son gestionnaire de fortune, qui ne portaient pas exclusivement sur des aspects professionnels ou financiers, constituaient une atteinte à l’intimité de la vie privée au sens des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal, permettant de caractériser un trouble manifestement illicite ;
- dans le cadre de la conciliation entre le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression, tous deux garantis par la Convention européennes des droits de l’Homme, la Cour de cassation fait primer ici le droit au respect de la vie privée, estimant que « le recours à ces derniers procédés constitue un trouble manifestement illicite, que ne sauraient justifier la liberté de la presse ou sa contribution alléguée à un débat d’intérêt général, ni la préoccupation de crédibiliser particulièrement une information, au demeurant susceptible d’être établie par un travail d’investigation et d’analyse couvert par le secret des sources journalistiques ».
Virginie Bensoussan-Brulé
Chloé Legris
Lexing Droit pénal numérique