Par décision du tribunal de grande instance de Béthune du 27 mai 2014, douze personnes ont été condamnées pour contrefaçon à des peines d’emprisonnement avec sursis, huit ans après le démantèlement du forum Utopi-Board, forum d’échange de fichiers illicites et d’outils facilitant le piratage.
Depuis janvier 2005, le forum permettait la mise à disposition des internautes d’une multitude de fichiers, d’albums de musique, de films dont certains étaient des fichiers illicites permettant d’accéder aux œuvres avant leur sortie en salle de cinéma et des logiciels en contrefaçon des droits de leurs auteurs.
C’est initialement à suite d’une plainte pour un produit commandé sur internet mais non livré qu’une perquisition de la gendarmerie au domicile du vendeur du produit litigieux a permis de découvrir sur l’ordinateur de ce dernier l’existence de ce forum Utopi-Board, ayant mis illégalement, depuis juillet 2005, à la disposition d’internautes quelques 36.000 fichiers ou albums de musiques, 3500 films dont certains, avant même leur sortie en salle et 750 logiciels informatiques, et de le mettre sous surveillance.
L’enquête préliminaire, puis l’information judiciaire sur réquisition du Ministère public, ont permis de dévoiler beaucoup d’informations sur le fonctionnement très organisé de ce « warez », à savoir ce site spécialisé dans la distribution illicite de programmes, musiques, fichiers protégés.
En l’espèce, ce site disposait d’une structure organisée de manière hiérarchisée. En effet, il comprenait trois différentes zones d’accès aux fichiers : une en accès libre et gratuite, une en accès privé et la dernière en accès super privé. Selon ces zones, l’accès était plus ou moins payant et les fichiers illicites plus ou moins nombreux. Comme pour tout site internet, les administrateurs, modérateurs et supers modérateurs tiraient leurs ressources à la fois des adhésions et des bandeaux publicitaires.
Le tribunal a retenu que la contrefaçon était caractérisée « par des actes matériels reconnus par les mis en examen, à savoir le fait de télécharger des œuvres et de les copier sur des supports tels que des disques durs, disques compact, disques durs externes, etc. (Reproduction des œuvres) et le fait de les mettre à disposition des autres sur le forum (représentation des œuvres) », le forum ayant vocation à permettre à ses membres de reproduire, par leur téléchargement, des œuvres protégées, en vue de les représenter, actes réservés aux titulaires de droits. C’est ainsi que les prévenus ont été déclarés coupables d’actes de contrefaçon.
Au-delà des actes positif de contrefaçon, le tribunal a également recherché la responsabilité des administrateurs et modérateurs du forum sur le terrain de la complicité considérant que « ceux qui, par leur action favorisent la commission des infractions de contrefaçons en participant au fonctionnement d’un forum warez permettent tant l’existence d’un tel forum (dont le but est commission de contrefaçons d’œuvres de l’esprit ou de logiciels) que son fonctionnement, se rendent complices des infractions de contrefaçons d’œuvres de l’esprit et de logiciels en violation des droits d’auteurs, producteurs, artistes interprètes, ou entreprises de communication audiovisuelles ».
Le tribunal insiste en relevant que « l’enregistrement d’un membre par un modérateur dont la fonction est la gestion des inscriptions de membres, a pour finalité d’autoriser ces membres à commettre des actes de contrefaçon » et que « le modérateur d’un tel site dont le rôle est la vérification des liens de téléchargement et leur bon fonctionnement, assurent l’exécution correcte des actes de reproduction d’œuvres contrefaites ».
Prévue par l’article 121-7 du Code pénal, la complicité sanctionne la personne qui « sciemment, par aide ou assistance » a facilité la préparation ou la consommation d’un délit. Ainsi au-delà de l’incrimination de contrefaçon, qui doit être appréciée de façon restrictive par le juge et ne peut être retenue qu’à raison des actes personnels de reproduction ou de représentation, le tribunal use de la complicité par fourniture de moyen pour condamner les administrateurs et modérateurs du forum.
La complicité permet ainsi aux juges de poursuivre et condamner les acteurs de l’internet qui n’ont pas personnellement commis les actes de reproduction et/ou de représentation préjudiciables mais y ont contribué par la mise à disposition du public un espace de partage de contenus dédié à l’échange d’œuvres illicites.
Déjà dans un arrêt du 28 septembre 2011, la 12ème chambre de la Cour d’appel de Paris avait usé de condamné des vendeurs de linkers, permettant, entre autres usages, la lecture de jeux piratés sur les consoles de jeux de la marque Nintendo, pour complicité : si les prévenus n’avaient pas personnellement réalisés les actes de contrefaçon des jeux incriminés, leur responsabilité avait été retenue pour avoir fourni à leurs clients le moyen de commettre une contrefaçon, usage illicite dont ils avaient parfaitement connaissance au moment de la livraison du produit selon la Cour.
Par ailleurs, les utilisateurs du forum, identifiés par leur adresse IP, stockaient leurs données sur des serveurs piratés appartenant à de grandes universités et entreprises et ce, à leur insu. Rappelant qu’il « n’est pas nécessaire que l’accès au dit système soit limité par un dispositif de protection » et qu’il « suffit, en effet que le maître du système ait manifesté l’intention d’en restreindre l’accès aux seules personnes autorisées », le tribunal a condamné les prévenus pour intrusion et/ou maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, sanctionnant ainsi l’utilisation de scanners pour rechercher les serveurs disponibles et le stockage des données contrefaisantes après avoir créé des répertoire pour les accueillir.
Le fait d’avoir envoyé des fichiers illicites sur les serveurs afin de les mettre à la disposition du public a été également sanctionné par l’incrimination d’introduction frauduleuse de données dans un système de traitement organisé de données. Pour ces infractions, l’incrimination complémentaire de groupement formé en vue de commettre des fraudes informatiques a été retenue.
Toutefois, dans cette affaire marquée par les nombreuses parties civiles, notamment les organisations professionnelles ou les représentants d’ayants droit comme l’Agence pour la Protection des Programmes, la Sacem, la Société civiles des Producteurs Phonographiques mais aussi des grandes entreprises comme Columbia Pictures Industries, Disney Enterprises Inc, Paramounts Pictures Corporation et Warner Bros Entertainement Inc, le tribunal a précisé à titre liminaire que « si les faits reprochés aux prévenus présentent un caractère certain de gravité, ils sont très anciens et ont été commis à une époque où internet était en plein essor et où le droit applicable était en pleine évolution et où les lois Dadvsi, Hadopi 1 et Hadopi 2 n’existaient pas encore ».
Le tribunal, pour justifier la peine de prison prononcée avec sursis, a ajouté « que si les prévenus avaient tous bien conscience de commettre des actes délictueux, ils ne mesuraient peut être pas tous et entièrement, l’importance du préjudice commis » et « qu’enfin tous étaient très jeunes au moment des faits ».